Phil Salfino s’empresse d’entrer dans un restaurant, où il retrouve Sarah Filmore, assise à une table. La jeune femme a le nez dans le menu, et ne remarque pas l’arrivée de l’intervieweur, qui se tire une chaise et prend place devant elle. Au moment où elle lève les yeux, la championne soupire, en posant le menu sur la table.

Sarah Filmore : Je ne crois pas t’avoir invité à manger avec moi, Phil.

Phil Salfino : Oh mais ne vous en faites pas, je paierai mon assiette.

Sarah Filmore : C’est que je ne suis pas certaine que je pourrai supporter la vue de ton visage tout au long du repas, vois-tu…

Salfino se contente de sourire, et Sarah voit qu’elle ne se débarrassera probablement pas de lui si facilement. Elle soupire à nouveau et reprend le menu.

Phil Salfino : Remarquez, si vous répondez à mes questions d’abord, vous aurez tout le loisir de manger sans m’avoir devant vous ensuite.

Sarah Filmore : Quand on voit à quel point t’es casse-couilles, on comprend que tu sois toujours célibataire, toi…

Phil sourit en voyant la jeune femme poser une deuxième fois le menu. Il a obtenu sa chance, et se doit de sauter dessus dès maintenant, ce qu’il fait en posant sa première question.

Phil Salfino : Que pensez-vous du choix de Sir Wilson pour vous contrer, en la personne de Manhattan?

Sarah Filmore : Qui? Caillou? Bof, Wilson aurait clairement pu faire mieux s’il avait une once de cervelle. Depuis que je suis arrivée dans l’industrie, on ne cesse de mettre mon succès sur le compte des autres. Au début c’était Methodcobra, ensuite Syd, maintenant Stone… Je rêve d’un jour où on cessera de penser que ce genre de paroles m’atteint. Je sais très bien ce que je vaux. Je sais très bien ce que je peux accomplir. Stone ne m’a pas donné cette ceinture, il a remplacé celle que je n’ai jamais perdue.

Phil Salfino : En fait vous l’aviez perdu lors du house-show…

Sarah l’interrompt avec une marque d’agacement évidente.

Sarah Filmore : Phil, quand comprendras-tu que ce qui se passe en house-show n’a strictement aucune importance… et qu’en plus, c’est à cause que Wilson a redémarré le match alors qu’on l’avait gagné que les ceintures ne sont plus entre mes mains? Mais tu vois, c’est tout Wilson, ça. Il nous reproche des choses, et en contre parti, il fait encore pire. C’est comme le fait de mettre nos têtes à prix. Est-ce que c’est réellement la définition de la justice que tu veux? Est-ce que la tête de tout le monde à la SOW était à prix? Non, c’était que la nôtre, à Syd et moi. Ce vieux débris ne fait que mentir.

Phil Salfino : Que comptez-vous faire contre Manhattan?

Sarah Filmore : Je serai simplement une Filmore, comme chaque fois que je mets les pieds dans le ring. Qu’est-ce que tu t’attends à me voir faire d’autre? Tu crois que je vais me mettre à genoux et supplier qu’il me laisse tranquille? C’est pas le genre de la maison. Ça, je laisse ça aux losers.

Phil Salfino : Qu’avez-vous à répondre au fait qu’il trouve que votre titre soit le plus inutile de toute la fédération?

Sarah Filmore : Je pense la même chose au sujet de son contrat, et pourtant il est bel et bien toujours là… Des chauves baraqués comme des frigos on en a vu plusieurs ici, il me semble… Il aurait pas un lien de parenté avec Destroyer, le gars, en fait? À voir son sens critique de merde, on pourrait croire qu’il a la même atrophie au cerveau, en tout cas. Bref, pour répondre à ta question, je ne suis pas d’accord avec lui au sujet de ma ceinture. Vois-tu, c’est le seul titre qui soit défendu chaque fois que le champion – ça c’est moi – se bat… C’est le titre le plus difficile à maintenir, et le gars le trouve inutile? Il faudra qu’il gagne des matchs contre des adversaires impressionnants, et après il viendra me faire la morale…

Phil fronce les sourcils.

Phil Salfino : Vous l’écouterez?

Sarah Filmore : Non, bien sûr que non!

Elle éclate de rire.

Phil Salfino : N’en avez-vous pas assez qu’on vous traite de tricheuse et qu’on dise que vous ne pouvez pas gagner un match autrement?

Sarah Filmore : De la triche? Phil, les règles sont là pour baliser les idiots qui ne sauraient pas quoi faire autrement… Je suis bien assez intelligente pour ne pas me soucier d’elles. Elles sont là pour les petites cervelles comme Manhattan, pour tout dire.

Phil Salfino : La dernière fois que nous vous avons vue dans un cage match, ça n’avait pas été très fructueux pour vous… Comment ferez-vous différemment cette fois-ci?

Elle se lève pour attraper l’interviewer par la cravate. Avec une force qu’on ne lui a jamais vue, elle le tire vers elle pour lui agripper les cheveux, et lui frapper la tête contre la table, assez fort pour assommer l’homme bien comme il le faut. Elle regarde ensuite autour d’elle, en se levant, puis replace sa robe d’une main agile, et repousse ses cheveux vers l’arrière. La jeune femme se penche pour approcher ses lèvres de l’oreille de Salfino.

Sarah Filmore : Ton temps est écoulé…

Puis elle quitte les lieux sans répondre à la dernière question, et sans manger quoi que ce soit.

| Alors que la SOW est en house show, le titantron s'illumine, et les fans crient à la vue d'un avocat qu'ils connaissent bien : Neil Whitis, avocat de l'ancien champion Tag Team, Syd Filmore. |

Neil Whitis : T'es comme un chef d'orchestre qui a dirigé avec une brio toutes les oeuvres de Beethoven et qui s'en va s'en même regarder le public. T'es parti depuis quelques mois, et soudain, plus de nouvelles, disparu le Syd. 

Syd Filmore : C'est pas évident de dire au revoir quand on sait qu'on va revenir.

Neil Whitis : Dans tous les cas il est temps de réapparaitre dans les médias.

Syd Filmore : J'ai rien à promouvoir. 

Neil Whitis : Une bonne personnalité publique est là même quand elle n'a rien à vendre.

Syd Filmore : T'es venu m'emmerder pour ça? Neil, t'es le père que j'ai pas foutu en taule, mais sérieux, je t'écouterais pas cette fois, j'ai rien à dire aux fans, c'est ainsi. Que veux-tu que je leurs dise? Mon testament dans l'industrie, ce sont mes matchs. Qu'ils regardent à nouveau le TLC face à Diamant Brut, ils auront mon testament. J'ai aimé ce métier et j'ai consommé mon rêve tant que j'ai pû. Mais mon coeur n'a pas voulu tenir la cadence.  

Neil Whitis : Pardon? 

Syd Filmore : Je t'ai rien dis, j'ai rien dis à personne, pas même aux dirigeants de la fédération. Seule Sarah était au courant. Lors d'un entrainement et d'un simple check-up santé, les médecins m'ont demandé de passer des examens supplémentaires. C'était en octobre l'an dernier. Tu te souviens d'Hannigan qui m'avait payé mon traitement en échange de mes services à la RLF? Ces problèmes de coeurs, ils sont jamais parti. Je savais que mon temps était compté. Mais j'ai rien dis, j'ai juste dis que je devais prendre du temps pour moi. J'voulais pas prendre de temps pour moi. J'voulais prendre le titre de la SOW, continuer ma carrière. Le destin en a décidé autrement. Alors j'suis pas apparu devant les fans parce que j'avais pas envie qu'ils me voient comme quelqu'un de vulnérable. Ces foules-là ont toujours cru que j'étais un modèle de résistance. Et les modèles ne s'arrêtent pas. J'ai raté cette mission là.

Neil Whitis : Tu ne m'en as jamais rien dit, Syd... 

Syd Filmore : La seule envers qui j'ai des obligations légales, c'est Sarah parce que c'est mon épouse. Elle le savait depuis le début. Ensemble, on a préparé ma fin de carrière et on s'est battu en équipe jusqu'à ce que je sois trop épuisé. Le soir de mon dernier match, des médecins étaient planqués dans ma loge, prêts à intervenir. Y'avais un hélico sur le parking et tous mes papiers préparés en cas d'hospitalisation voir de décès. J'ai menti à la fédération en disant que j'pouvais lutter. J'ai payé pour que les médecins ferment leurs geules et me laissent vivre mon rêve un dernier soir. Sarah et moi nous savions que c'était fini, qu'il était temps.


Neil Whitis : Elle en a dit quoi, Sarah? 

Syd Filmore : Tu voulais qu'elle dise quoi? Elle a eu le malheur de tomber amoureuse d'un boiteux. Elle a pensé arreté, je crois. Elle ne m'en a rien dit. Y'a eu des silences, mais le couple est resté fort. On est toujours aussi attaché l'un à l'autre. Mais elle ne vit que pour la lutte, et j'lui ai interdit d'arrêter. Elle a de l'avenir, elle a la chance de pouvoir terminer ce qu'on a commencé y'a deux ans à la RLF. Elle a la chance et le talent. 

Neil Whitis : J'étais venu t'amener différents contrats...

Syd Filmore : Ecartes les contrats de lutte, je ne peux les voir. Cette fois je ne joue plus, l'effort physique intense m'est interdit. Ils ont changés mon traitement, il faut que ça se stabilise, ensuite, on verra. MAis c'est une affaire de mois... 

Neil whitis : Une agence de pub veut t'engager pour un sport de dix secondes pour du chewing gum. 

Syd Filmore : Screw you. J'ai pas besoin de thunes, Sarah ramène ce qu'il faut à la maison. Avec un seul salaire et les ventes de mes produits dérivés, crois moi, on vit plus que bien.

Neil Whitis : Bien, d'accord. Ce rendez-vous est bientôt fini, dans ce cas. Je n'ai plus rien à traiter pour toi, actuellement.

Syd Filmore : Mais pour Sarah, si. Viens donc à la maison samedi prochain. Nous discuterons plus en tranquillité qu'avec ce foutu caméraman dans le coin. 

Neil Whitis : Certes. 

| Neil se lève, mais Syd le retiens. |

Syd Filmore : ... aufait! 

Neil Whitis : Oui? 

Syd Filmore : Des nouvelles de Zakarov? 

Neil Whitis : On le cherche toujours avec le bureau... On est sur une piste, il serait en Europe. 

Syd Filmore : Amènes-le moi quand vous l'aurez retrouvé. Cherchez bien du coté de Bruges, en Belgique. 

Neil Whitis : T'as des infos? 

Syd Filmore : Je viens de te les donner. A plus tard, Neil.

Fade out.