Les coeurs assassins

Oh oui je l'ai trouvé ton cadeau. Et je te remercie.

La brune marche à travers un champ de friches. Devant elle, les hautes herbes s'écartent et les animaux se sauvent, effrayés. La démone dégage une force incroyable autour d'elle. Elle porte sa tenue de combat, et ses yeux sont remplis d'un noir d'encre. Entre ses mains, le coeur d'Hadès.

Je te remercie de m'avoir rendu ce qui m'appartient!

Elle s'avance jusqu'à un autel sur lequel sont posés un plat en argent ainsi que de nombreuses bougies. Elle dépose le coeur sur le plateau puis fait apparaître sa dague dans sa main droite. Elle pose un genou à terre et salue respectueusement la "dépouille" de son ex amant.

Aujourd'hui tu m'as fait comprendre ce qu'était le véritable amour, Rafael. J'ai compris qu'il n'y avait pas pire souffrance, pire fardeau que cet horrible sentiment. Je jure solennellement qu'à partir de cette nuit, je chasserai toute trace de cette faiblesse de mon coeur. Et pour y parvenir, la meilleure solution, c'est de me séparer de tout ce qui me rend faible.

Elle montre la dague et s'amuse à jouer avec les reflets de la lune un instant. Mais toujours dans sa voix, la même colère, sourde, profonde, déchirante.

Soudain, elle plonge sa lame dans sa poitrine et l'ouvre très profondément. Elle glisse sa main dans la plaie et en arrache violemment le coeur. Celui-ci continue de battre malgré tout, un démon n'a pas besoin de cela pour exister, c'est symbolique. Elle se relève et va le placer à côté de celui d'Hadès.

Le coeur n'est qu'un artifice, et je n'en aurais plus besoin désormais. C'est donc ici qu'il disparaîtra. Et comme tu as violé la sépulture d'Hadès, je vais réparer ton blasphème et brûler nos deux coeurs ensemble. Puis je disperserai les cendres aux quatre vents. Ainsi, plus jamais aucune sorcellerie ne viendra modifier mon destin. J'en serai... le seul maître.

Instantanément les deux coeurs s'enflamment, ainsi que la forêt qui se trouve autour d'elle. Elle ne quitte pas les flammes des yeux. Elle veut être certaine que le sacrifice sera accompli jusqu'à son terme. Le feu fait briller ses yeux noirs et réchauffe sa peau si blanche.

Tu avais raison Rafael, je l'aimais. Je l'aimais comme toi et moi ne serons jamais capables de nous aimer. Sa passion était pure, innocente. Il s'est épris de moi et l'a payé de sa vie. Mais, malgré cet amour indéfectible, je t'aimais plus encore. J'ai beau avoir lutté de toutes mes forces, tu es celui qui a changé ma vie. De vous deux malheureusement je n'ai pas pu choisir et je suis, plus que toi encore, son assassin. Rien de ce que je pourrais dire ou faire ne changera ou n'excusera ma responsabilité. Je t'ai trahi. Tu m'as trahi. S'il n'y avait que nous deux à en avoir souffert, tout cela aurait pu se terminer ainsi, sans violence et sans déchirement. Seulement voilà, tu as tué Hadès, mon ancien amant, mon fidèle allié, mon âme soeur. Pas seulement tué: tu l'as longuement torturé, tu y as pris du plaisir. C'est ta nature, je le savais. Mais je pensais dans ma misérable faiblesse romantique, que tu ne mettrais jamais tes menaces à exécution. Je croyais que tu n'oserais jamais aller jusqu'au bout de ta folie. J'avais tord. Tu es un assassin de premier ordre, né pour tuer. Je l'ai toujours su.

Mais par cette nuit de pleine lune, je vais être le tien également. Peu importe le nom que tu donnes à tes ... sentiments, il n'y a rien qui ressemble à l'amour là dedans. Il n'y a que haine, vengeance, douleur, vanité. Et ces sentiments là, chaque être démoniaque est capable de les redonner. Je te suis reconnaissante de m'avoir fait comprendre à quel point ces derniers temps je me suis trompée. Ton geste désespéré, guidé par la jalousie et la haine, m'ont rappelé quel monstre tu es. Tu es un animal, Rafael. Un animal dangereux et fou. Tu as commis le crime ultime, irréparable, et aujourd'hui tu vas en payer le prix.

Elle prend une torche et l'approche de la plaie de sa poitrine pour la cautériser.

Je ne suis plus ton amour, Rafael.
Tu n'es plus pour moi qu'un souvenir.
Tu es banni de mon cœur calciné... à jamais!
Tu ne me toucheras ... plus jamais!
Tu ne me baiseras ... plus jamais!

Elle nettoie son arme et la range dans son étui, accroché à sa ceinture.

Mais soit rassuré, aucun autre homme ne posera plus jamais les mains sur mon corps. Je ne suis plus l'amante de personne. Je ne suis plus l'ex-femme de personne. Mes enfants, Andréas et Eden, sont partis loin de nous et ne reviendront jamais plus. Ils ne sont plus qu'un lointain souvenir, un doux souvenir que peut être un jour je chérirais à nouveau. Tout ce que j'étais, tout ce que j'aimais, a disparu ce soir dans cette lune pleine. Dans ce brasier de fin d'été. Plus jamais, nous ne retrouverons cette chaleur entre nous. Le désir, la passion, tout est mort. Je te laisse ton lot de consolation. Ton besoin, ta source de sang. Ta Pétale. Je prie pour que son élixir te saoule suffisamment pour ne plus penser à mes étreintes, à mes caresses sur ta peau, à mes baisers sur tes lèvres... mais j'en doute!

Tu as oublié un peu trop vite à qui tu avais à faire, Rafael, El Verdugo, qui que tu sois, bourreau au service de Dieu ou de mon paternel! Tu m'as prise pour une autre, une maîtresse disponible et docile, une partenaire apprivoisée et obéissante. Mais tu t'es trompé ! Tu te crois puissant et indestructible... moi je me sais libre et fière! Et à présent, solitaire et insoumise !

Elle écarte les bras et regarde ses pieds, puis ses jambes, et lève la tête bien haut face à elle.

Regarde moi, mon bourreau, mon assassin! Regarde celle que tu as tué, celle que tu chérissais tant ! Elle n'est plus de ce monde désormais! Tu as ôté de tes propres mains le peu de d'humanité qui subsistait encore en moi ! Je te maudis Rafael, je te maudis! Ta première mort n'était qu'un jeu d'enfants à côté de celle qui t'attend prochainement! Je te tuerai! Je te tue déjà, en quittant ton lit à jamais, et je te tuerai chaque jour, en prolongeant l'absence et le silence de tes nuits!

Le vent se lève et emporte avec lui les cendres des organes qui se dispersent au loin.

Meurs, mon coeur! Meurs, mon amour! Disparais et ne reviens jamais! Il n'y a plus rien d'humain en moi, plus rien qu'une guerrière libre et sans coeur qui répend la violence et la mort !

Une violente bourrasque vient tourner autour d'elle, levant les feuilles mortes et les branches, puis soudain, plus rien. La démone a disparu, ainsi que l'autel, laissant un paysage désolé et calciné.