Montreal, Quebec
26.09.15
Sarah's Castle
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Elle qui n'avait jamais eu peur des miroirs se retrouvait en princesse brisée à la vue de ceux-ci. Alors qu'ils tronaient partout dans la maison, elle commençait à les avoir en horreur. Elle avait grandi en poupée de porcelaine, souffert en poupée de chiffon et pensait être devenue poupée de bois. Solide bien que brute. Brute bien que jetable. Tant le temps qui passait la perdait. Pensive, elle caressait un miroir encrassé du bout de ses jolis longs doigts quand on arriva à la porte. |
Sarah Filmore : J'arrive.
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Sarah avait traversé la maison, descendu des escaliers blancs, regardé Sia jouer dans le salon avec son père. Puis, enfin, elle était arrivée devant la porte. Elle l'avait ouverte, délicatement. Il devait être 8 heures du matin, pas plus. Une dame d'une soixantaine d'année se tenait, avec élégance, sur le pas de la porte. La pluie brillait sur les pierres. |
Sarah Filmore : Rose ? Entrez, ne restez pas là.
Rose : Merci, ma chère Sarah. Tendre petite fille, que vous êtes grande désormais ! Mais toujours aussi belle.
Sarah Filmore : Je ne suis pas maquillée, mes cheveux sont attachés et mes habits sont communs puisque je n'attendais pas de visite. Pardonnez-moi. Laissez-moi une demi heure et je vous reviens comme vous m'avez connue.
Rose : Je vous ai connu en moins bonne état que ça, Sarah. Je n'ai pas besoin de vous voir telle une poupée. Je vous ai trop souvent vu comme une poupée. Vous voilà femme, mère et épouse. Vous êtes radieuse. Je suis fière de vous retrouver ici, loin des carcans que vos parents voulaient vous imposer, loin des concours de beauté qui vous éloignait de l'intelligence que vous possédez.
Sarah Filmore : Merci pour les compliments. Je ne m'y attendais pas, et j'étais loin d'imaginer votre visite ici.
Rose : Je vous mentirais si je disais que je passe ici par hasard.
Sarah Filmore : Voulez-vous que nous allions nous installer au calme, dans la veranda ? Je dois avoir du thé, quelque part.
Rose : J'entends une petite fille à l'étage, nous pourrions parler près d'elle.
Sarah Filmore : Bien, suivez moi.
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Il y avait sur le visage de Sarah un air heureux. Rose était le rayon de soleil de son enfance. Elle était son institutrice à domicile, celle qui lui a appris à bien se tenir, à bien parler et à réfléchir. |
Sarah Filmore : Rose, voici Syd, mon époux. Et Sia, notre fille.
Rose : Quelle merveilleuse famille. Vous pouvez être fière de vous, Miss. Vous êtes devenue ce que j'ai voulu faire de vous.
Sarah Filmore : Ce n'est pas un chemin facile pour arriver jusqu'ici. Je ne parle plus à mes parents, j'ai choisis une vie qui a surpris plus d'une personne, et je ne suis pas spécialement entourée, hormis de ma famille.
Rose : Vous vous sentez seule ?
Sarah Filmore : J'ai Sia, j'ai Syd, et puis Neil, aussi.
Rose : Et vos amies mannequins ?
Sarah Filmore : Evaporées. Savez-vous le métier que j'exerce ?
Rose : Comment pourrais-je ne pas le savoir ? J'ai la télévision. Et j'ai toujours voulu garder un oeil sur vous. Vous m'êtes spéciale. Vous êtes ma plus belle réussite, mon plus beau combat. Je suis venu vous le rappeller.
Sarah Filmore : Je n'ai pas choisi la facilité. Mais je l'assume au quotidien et ce que j'ai bati me rend fière.
Rose : Alors d'où viennent vos cernes ?
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Sarah avait baissé les yeux, retenu un sanglot. Sia la regardait. Un rictus se dessinait sur son visage. |
Sarah Filmore : ... Elles se dessinent quand j'assume sans savoir ce que je construis. Elles se dessinent quand j'essaye d'éviter de me tromper et que je me trompe quand même. J'ai laissé tomber il y a quelques semaines le pan le plus beau de ma vie. Ce que j'ai le plus aimé faire. Je voulais que ça mette un terme à la tempête qui a commencé il y a quelques mois. Vers le mois de mars, je pense. Désormais je me tiens ici et j'ère sans but, à me demander ce que je dois faire ou ne pas faire. A m'entrainer sans savoir pourquoi. Et à revoir ce poste que j'ai laissé alors qu'il était fait pour moi.
Rose : Est-ce définitif ? Vous semblez avoir changé de chapitre alors que j'ai l'impression que ce n'est qu'une page du livre que vous avez dû passer. Un retour à la ligne, peut être, un saut de page, tout au plus.
Sarah Filmore : En tout cas, pas de retour direct. Je suis donc là, à attendre.
Rose : Et pouvez-vous me dire ce que vous attendez ?
Sarah Filmore : De ne plus avoir le choix. Je n'ai pas envie d'intervenir parce que ça mettrait de l'huile sur le feu. Et rester ici, à ne rien faire, c'est me démolir à petit feu.
Rose : Vous êtes tellement perdue, belle enfant. J'ai l'impression que vous avez oublié les leçons de courage que nous avons explorées ensemble. Souvenez vous : «Prenez le temps de délibérer, mais lorsque c’est le temps de passer à l’action, cessez de penser et allez-y !» – Napoléon Bonaparte
Sarah Filmore : Mort après avoir été contraint à l'exil. Bel exemple.
Rose : Gardez votre cynisme. Il n'a pas sa place dans mon message.
Sarah Filmore : Excusez-moi.
Rose : C'est fait, darling. Je ne vois cependant pas dans vos yeux ce que j'attends de voir avant de partir. Vos doutes vont devoir s'effacer à la mesure d'actions que vous allez prendre. Dès que possible. A la mesure de l'investissement que vous mettez dans ce business.
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La vieille dame avait posé ses mains sur les épaules de Sarah. |
Rose : Respirez, Sarah. Sentez la puissance que vous avez en vous. Ce souffle c'est votre force, celle qui est toujours en vous et qui bouillonne de n'être pas utilisée.
Sarah Filmore : Je commence à y voir plus clair, désormais.
Rose : Pourtant je n'ai rien dit.
Sarah Filmore : Vous avez dit l'essentiel.
Rose : Montrez-moi votre miroir, Sarah.
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Sarah était monté à l'étage, se retrouvant face au même miroir qu'avant la visite de Rose. Rose se tenait derrière elle, droite, comme elle l'avait semble-t-il toujours été. |
Rose : Vous êtes belle. Votre époux vous le dit régulièrement ?
Sarah Filmore : Tous les jours.
Rose : Ce qu'il ne dit pas derrière, c'est que vous êtes forte. Et ce qu'il vous a déjà dit, c'est qu'il a besoin de vous. Ce que vous voyez dans le miroir, c'est ce qu'il voit comme son espoir le plus grand de s'en sortir. Pensez-y, lundi.
Sarah Filmore : Restez à nos côtés pour manger, voulez-vous ?
Rose : Avec plaisir. J'aimerais faire connaissance avec votre époux et Sia.