1h47.
Il fait foid. La fraicheur me réveille de mon rêve trop lucide, me projette dans une réalité trop tordue, comme une douce caresse qui tourmente ma peau couverte de sueurs, chaude d'effroi. Les vers sont réticents à relâcher mon cerveau, qui parait pourri à souhait, et ouvrir les yeux ne chasse pas les démons de ma vision tout de suite. Je vois ma main se porter à mon front parcourant mes cheveux courts et au lieu d'examiner mon crâne, je la lance vers la table de chevet pour y obtenir un cahier et un crayon que je garde comme seuls objets du monde physique. Je repousse les combats et les violences que je semble m'administrer avec les armes de de ma propre imagination. Je garde les yeux sur le papier pour ne pas voir le reste de la chambre, les ombres partout qui se morphent en monstres aux coins de mon étroite vision, même si je ne vois pas grand chose plus que les diodes rouge plasma sur le cadran... je note la minute pourtant illisible de mes cauchemars avant de l'oublier. Je déteste les hôpitaux, pour des millions de raisons.
Ca fait si longtemps que je suis ici. Je ne sais pas si j'en sortirai. J'ai si mal à la tête, mon oeil brûle sous la pression du stress, et pourtant, je m'obstine à tenter de décrire les visions, quitte à le faire à l'aveuglette, à travers la buée des larmes. Je ne réalise pas ce qu'ils sont; ma main fait son travail guidée par un instinct qui m'est impossible de saisir. Je raffermis ma poigne sur le petit bout de bois bien mordillé, je ne veux pas faire de bruit... l'ennemi qui garde ma porte pourrait m'entendre, distinguer ma faiblesse. Dans le noir, je tente de ressaisir ma respiration, de calmer mes tremblements, au détriment de la cohérence de mes gribouillis. Je fais confiance à ma main, mes yeux sont bien fermés. Mais le film d'horreur s'estompe à peine, et... j'entame les Nocturnes de Chopin dans mon esprit, me bloquant la gorge d'une tension musculaire bien plaçée pour ne pas émettre le moindre son, chantant à tue-tête pour chasser les voix. Tentant d'appeler les douces couleurs des Saintpaulias à mon esprit moisi, d'en imaginer le doux parfum pour me distraire du charnier.
Je refuse de prendre leur médicaments. Je refuse de leur parler. Ils veulent me prendre la seule chose qui me reste. La jolie docteure semble plus humaine que les autres, mais on fera du ski en Enfer ensemble avant que je lui fasse confiance. Je vois très clair dans leur jeu, je ne suis pas si bête que ca; ils cherchent à m'amadouer en me présentant une jolie esclave. Pourtant, c'est à son attention que j'écris en pleine nuit, espérant qu'elle me comprenne vraiment, qu'elle sache que je tente légitimement de lutter contre la folie dans laquelle je me noie nuit après nuit. Je suis assez toxique, j'ai l'impression qu'une simple aspirine pourrait m'achever. Ou me fera vivre pour toujours. Le cocktail qu'ils me réservent marerait le seul don qui me reste.
Sevrage physique, isolation, tentative de retraite mentale, réforme d'abstinence, une retraite de tout. La folie règne sur un esprit à la fois, la contagion facile, et nul endroit au monde n'est à l'abri. Ceux qui veulent vivre meurent de manières bien créatives, par moments ironiques... Le suicide est bien séduisant, mais l'ennemi garde ma porte pour s'assurer que je ne puis tenter grand chose. Parfois, je me conjure moi-même pour me tenir compagnie relative parce que personne d'autre ne parle ma langue et souvent, je m'invite contre mon gré pour me tourmenter un peu, pour m'assurer que mon esprit est assez affuté pour voir les choses en face.
Pourquoi est-ce que j'écris toujours mes rêves de la main gauche? Rien ne fait de sens. Bien sûr.
La pièce n'est pas vide ce soir, pourtant ce n'est pas moi que je vois. La figure s'approche de mon lit alors que j'écris toujours, à pas feutrés pour ne pas alerter l'ennemi, et prend place près de moi. Je sais qu'elle est là, et je tente de ne pas lui prêter attention, mais, elle sait que je sais qu'elle est là. Je me demande où regarder, alors mes yeux roulent vers le plafond, mes dents se grinçant un peu comme un petit orgasme contrit, forcé et douloureux. C'est un silence aussi familier qu'inconfortable parsemé de grattements, qui se brise seulement de mon soupir à peine soulagé quand je semble avoir terminé. Je me suis exorcisé un peu et le cahier tombe à mon côté. Maintenant que je suis vidé, que je n'ai rien d'autre à faire que de redouter le sommeil qui me clamera à nouveau dans un certain moment indéterminé, je me lève juste pour ne pas avoir à y faire face, à elle. Mes jambes, qui me semblent presque inutiles, devront supporter ma lourde carcasse pour quelques minutes.
Je me tourne vers la fenêtre grillée pour voir la ville, du haut d'une tour d'ivoire qui n'est pas la mienne. Je redoute encore par réflexe l'Appel alors que j'envie la liberté de cet homme evidemment éméché qui déambule en bas sur le trottoir comme une souris égarée, insignifiante mais vulnérable à l'oeil de l'aigle. Son péché d'excès me fait retrousser la lèvre supérieure depuis ma cellule... Se tapir dans un coin sombre, revètir ma vraie forme et faire bonne chaire de son psyché que je fracasserai aussi lentement que possible...
"Est-ce que c'est vraiment mieux de rester ici?"
Le language et le ton choisis font bondir mon coeur dans ma poitrine; je ne répond pas, parce que la question est trop lourde, et trop outrée. Le sentiment amer de trahison se ravive. Est-ce que ce sont mes souvenirs, ou les siens? Ou encore ceux de quelqu'un d'autre? Je ne sais plus qui je suis dans les pléiades des identités qui se disent miennes. Mais peu importe qui j'étais ce soir-là, c'est la nécessité désespérée qui les a conduits à appeler les hommes en blanc pour me capturer. Je regarde mes bras et mes mains écorchées, victime de ma propre rage et après coup, je réalise à quelle point j'ai besoin de thérapie.
Parce que je ne suis qu'un être mortel parmi tant d'autres. Je suis moi, qui aurait voulu avoir une vie bien normale, qu'on ressent à peine, qui aurait peut-etre pu être heureuse et équilibrée. Le collet de ma chemise d`hôpital me sert de mouchoir pour m'éponger les yeux, parce qu'à la place, j'ai dû devenir une abomination. Peut-on vraiment me blâmer? Je ne l'ai pas voulu. Elle, derrière moi, mon anima qui se tient les poings aussi serrés que la mâchoire, c'est le résultat. Ancienne esclave devenue cruelle maitresse. J'ai l'impression que je peux m'appuyer sur elle, mais elle me fait peur. Pourquoi le cacher? Je sais qu'elle a raison de me questionner, parce que nous ne sommes pas si dingues que ça - personellement, je ne veux pas faire de mal à personne, mais d'un sens, c'est ce qui nous garde en vie. La sensation pure dans un monde abruti par le confort et l'habitude. Transcender la conscience. Je me souviens clairement l'avoir vue à l'oeuvre, et mes oreilles se réchauffent à me rappeler la jouissance ressentie... celle-ci plus douce, mais je tente de chasser cette idée. Ce n'est pas normal... Pas normal.
Je tente de rester cool, mais je retiens à leur égard l'attitude la plus férale possible. Je suis un prisonier de guerre, je ne peux pas trahir ma section. J'imagine qu'elle m'enlacerait de gratitude si elle le pouvait, parce que malgré tout, je ne peux pas faire une croix sur l'esprit guerrier qui me visite, même si c'est sûrement le produit de mon imagination. Y penser me donne envie de rire de moi-même.
"J'appartiens ici.... pour l'instant."
Le dire à voix haute me remplit de honte, confirmant tout pour tous, mais quand je baisse les yeux, je me promet que ce n'est pas la défaite finale. Aussi ironique le réconfort puisse-t-il être. J'en ai trop subi... La lassitude est contrée par l'indignation. Ces gens qui me retiennent ici... c'est pour mon bien, mais pas vraiment... Je reprend mon cahier à notes, et trouve parmi les pages déchirées la victime de ma dernière panique. Je la relis un peu, y trouvant les scriptures peu logiques, une discussion confuse et troublante, un symbole que j'ai reproduit de mémoire inconsciente qui me donne froid dans le dos. Elle aussi subit une fracture, et j'ouvre le petit moustiquaire pour glisser un bras dehors, incapable d'ignorer la feinte empreinte creusée au couteau dans ma peau où jadis était tatoué le glyphe... Mais je laisse le vent battre la feuille, avant de la lui confier pour qu'il la guide le plus loin d'ici possible.
Ils ne peuvent pas m'aider... je dois garder mes secrets, ou je resterai ici pour toujours.