Le pied dans le deuxième cercle.

Mon passé est mon futur, c'est paradoxal n'est-ce pas ? Je ne parle quasiment exclusivement qu'au passé. Comme si, au final, parler au passé m'en inventait un. Mon histoire a commencé il y a quelques jours. Un nouveau départ, une naissance première, en quête de ce que je suis réellement. En vérité, j'étais arrivé en ville quelques heures avant seulement. On m'avait dirigé vers ici, un promotteur m'avait dit que la SOW serait l'endroit ou je remplirais les onzes autres cercles. Les cercles, c'est un concept plutôt compliqué. J'vous expliquerais en détail quand j'en aurais l'occasion.

On m'avait mis en contact avec Sir Wilson, le légendaire General Manager de Showdown et Injection. Enfin, moi j'savais pas qu'il était légendaire, j'suis amnésique ! Mais j'ai dû le savoir, c'est une chose certaine. Bref, j'avais donc pris un avion vers la ville ou l'homme se trouvait, afin de négocier un contrat avec lui. C'était pas chose gagné.

Sir Wilson : Enchanté, je suis Sir Wilson. Vous devez être le lutteur qui souhaitait me rencontrer ?

Zakarov : Exact.

Sir Wilson : Quel est votre nom ?

Zakarov : Faites moi le plaisir de me tutoyer, s'il vous plait. Mon nom est Zakarov. Et c'est tout ce que je sais.

Sir Wilson : Bien, Zakarov, suivez-moi, s'il vous plait. Vous m'excuserez de ne pas répondre à votre souhait éminent d'être tutoyé, mais je pourrais devenir votre employeur et nous n'avons pas gardé les troupeaux ensemble.

Zakarov : Même si on l'avait fait, j'm'en souviendrais pas, sérieux, tutoyez-moi.

Il avait un bureau de fortune installé dans les coulisses. J'm'étais assis, et il avait devant lui toute une série de question. Genre sur mon poids, mon age, blabla. J'en savais rien. Enfin, pour le poids il a pu vérifier évidemment, mais pour le reste... Nada. J'ai plus de papiers, j'connais limite mon nom, et le reste... Je sais pas. Je savais juste que j'étais un light heavyweight. Et j'avais dans ma poche une cassette que ce vieux briscard d'entraineur m'avait passé avant que je prenne l'avion. Parait que dessus, c'est moi. Avant.

Sir Wilson : J'ai visionné votre cassette, vous avez un niveau plutôt bon. Acceptable pour la fédération en tout cas ! De ce coté là, c'est réglé. Enfait, ce qui me retiens de vous signer c'est le fait que vous soyez... Comment dire...

Zakarov : Amnésique et bipolaire ? Nan mais j'vous en veux pas, hein. J'imagine bien que c'est chiant.

Sir Wilson : Vous n'essayez pas de réfutez ?

Zakarov : Réfuter quoi ? J'suis taré, j'en peux rien. J'pourrais bien sortir un baratin en disant que j'suis né de bonne famille en amérique, mais ça ferait vraiment pas crédible, j'ai un vieil accent Européen et j'peux me mettre à chialer sans raisons, j'vais pas m'inventer une histoire. J'recherche qui je suis, à travers les onzes cercles. C'est juste les infos que je peux vous donnez.

Sir Wilson : Mais cette histoire de cercle, je ne la comprend pas

Zakarov : Nan mais c'est normal, il m'a fallu du temps aussi. En vérité, parfois j'me demande si c'était pas une vaste blague pour paraître mystique. Mais la voyante, elle avait l'air sérieuse. Attention, j'ai pas fais dans le cliché, elle était super jeune et jolie, la voyante. Et elle avait pas de boule devant elle. Elle m'a dit ça cash : tu trouveras ton passé dans les douzes cercles. BAM ! Clair, net, précis. Ensuite elle m'a dit que le premier cercle, je le trouverais à la sortie. Et j'ai trouvé mon ancien promotteur. DU coup, j'ai vu qu'elle avait raison. Et la SOW peut me permettre de trouver mon passé. Les cercles sont enfait des épreuves que je dois traverser pour, en quelque sorte, retrouver ma mémoire. Parce que mon amnésie est pas définitive, paraît que je l'ai eu après un accident. Mais je ne sais pas lequel, les autorités n'ont aucunes traces de moi dans leurs registres, j'suis une sorte de fantome. La bande avec qui je traine depuis mon réveil m'appelle l'ombre oubliée. C'est con mais c'est ce que je suis.

Sir Wilson : J'ai vu mieux, comme présentation. D'habitude les lutteurs s'habillent sur leurs trentes-et-un pour avoir une place dans le roster.

Zakarov : Vos lutteurs n'ont certainement pas de destin. J'ai un destin. Etre à la SOW, remplir mes douzes cercles et retrouver mon passé. Après ça, vous entendrez plus parler de moi.

Sir Wilson : Vous ne voulez donc pas rester ?

Zakarov : C'est pas que je veux pas, c'est que je ne sais pas si c'est ce qui est prévu par la grande pendule.

Sir Wilson : La grande pendule ?

Zakarov : Un truc dans ma tête qui fait tic-tact et me rappelle que le temps passe.

Sir Wilson : Vous comptez faire quoi après les douzes cercles ?

Zakarov : Je sais pas... En trouver un treizième ? J'en suis pas là, j'ai même pas rempli le deuxième cercle actuellement.

Sir Wilson : C'est quoi le deuxième cercle ?

Zakarov : Signer un contrat.

Sir Wilson : Et vous connaissez le troisième ?

Zakarov : Je vois les contenus des cercles au début de ceux-ci. Donc là, je sais que je dois signer un contrat, mais je ne sais pas ce que je devrais faire au troisième cercle. C'est comme un jeu vidéo, mais en plus réaliste. Mais en moins drôle et plus frustrant, parce que du coup, si vous voulez pas que je signe, j'serais bloqué, et y'a pas de code pour passer le niveau, j'serais dans la merde la plus totale et j'devrais repartir de la ou je viens. Repartir, avion, crash, survivant, amnésie, cirque qui tourne, cauchemard, chiens qui mordent, bave, crapaud, princesse, bruler, château, tomber, bois, crier !, feu, incendie, charpente, famille, perde, appeler, secours, dieu, lumière, MOURRIR !

J'avais perdu la tête, j'étais parti dans un trip, dans un trou dont je tombe en boucle, appellant à l'aide et n'obtenant rien, des images se brouillent, et j'me retrouve perdu. Et puis j'revois les médecins scruter mon visage, et j'me retrouve au début de l'histoire que j'suis entrain de vous raconter. C'est flou tout ça, hein ? J'trouve aussi. Mais j'ai pas de mots plus clairs.

Sir Wilson : J'avais vu le coté amnésique, mais pas le coté bipolaire. De combien de mois à la SOW avez vous besoin ?

Zakarov : J'en sais rien. Donnez moi trois mois, et on verra ensuite.

Sir Wilson : Bien... J'ai pas l'habitude d'accorder ce genre de chose, mais vous inspirez la sincérité. Signez là, on arrangera des infos bidons sur votre identité. Je veux néanmoins que vous soyez suivi par un psychologue de la fédération, il vous aidera à décrypter le contenu des cercles. Il est évident aussi que votre... Folie ne doit blesser personne dans la fédération... En dehors d'un match, je veux dire. Vous avez un match favoris ?

Zakarov : La chaleur des flammes et l'odeur de corp brulé... Le troisième cercle, c'est ça. Inferno match. Les flammes font parties de mon passé d'après la grande pendule.

Sir Wilson : On vient de vous révelez quelque chose ?

Zakarov : Le deuxième cercle est bouclé, j'suis au début du troisième, donc j'en connais son contenu.

Sir Wilson : C'est vraiment étrange, votre histoire.

Zakarov : Je sais.

J'ai serré la main à Wilson, qui me souriait d'un air bienveillant, puis j'suis sorti du bureau avec une copie de mon contrat en main. J'ai une deuxième info. Mon nom est Zakarov. Et je suis lutteur à la Sanctuary of Wrestling.

Souvent, j’me réveille le matin avec d’énormes acouphènes. Ca m’troue les oreilles, ça m’fait chier d’une force incontestable. Mais bizarrement, ce matin là, j’les av ais pas eu. J’avais promis à Wilson d’aller voir le psychologue de la SOW. Du coup, j’m’étais levé plus tôt, et les acouphènes étaient pas là. Pourtant, et alors que j’aurais du ressentir le contraire, la douleur m’a manqué. Ca a cassé une de mes habitudes, et j’aime pas ça. Si la douleur doit être récurrente, alors je la veux à mes cotés tout le temps. Jusqu’à ce que la mort nous sépare. Même si j’sais qu’elle mourra en premier, j’suis plutôt solide.

J’étais allé à Montréal rencontrer ce psychologue. John Deveil, qu’il s’appellait. C’était un américain. Mais trève de description inutile...

John Deveil : Vladimir Zakarov, c’est ça?

Zakarov : Quoi?

John Deveil : C’est bien vos noms et prénoms?

Zakarov : Pas à ce que je sache, à vrai dire. Mais j’suis amnésique, du coup mon jugement est peut être alteré

John Deveil : C’est ce que votre employeur indique, en tout cas, il est noté sur votre contrat “Vladimir Zakarov.”

Et là, comme un con, j’me suis souvenu de la partie ou il disait qu’il bidonnerait mon identité pour le contrat. Il aurait pu se creuser un peut sur l’identité, puis me mettre au courant, parce que du coup, j’avais l’air con à pas savoir mon prénom. Bien que pour un amnésique ça doit être la norme. C’est triste à en pleurer. Même si sur le moment, ça a plutot déclenché des rires mal à l’aise quand j’ai du faire semblant de reconnaitre mon super prénom stéréotypé de Russe immigrant qui travaille au noir.

John Deveil : On m’a un peu parlé de vous, mais je préférerais ré entendre votre histoire depuis le début de votre propre bouche.

Zakarov : Je préférerais être tutoyé.

John Deveil : D’accord, comme tu le souhaites!

Zakarov : Putain! C’est pas trop tôt, enfin quelqu’un qui accepte de me parler normalement! Ah ça fait plaisir, du coup. Enfin, après pour l’histoire, j’ai franchement pas grand chose à dire, Wilson vous a tout dit.

John Deveil : Tu peux me tutoyer à ton tour.

Zakarov : De mieux en mieux. Bref, j’imagine qu’on t’as tout dit sur ce qu’il faut savoir de moi. La partie drôle du truc, c’est que j’en sais pas plus que vous.

John Deveil : Sir Wilson m’a parlé d’un troisième cerclé ou tu as émis le désir de prendre part à un inferno match?

Zakarov : C’est pas un désir, c’est une réalité concrète, une revelation que j’ai eu, si tu préfères.Le troisième cercle doit me faire traverser les flammes, or, les cercles sont connectés l’un avec l’autre. Y’a plusieurs moyens d’accomplir les cercles, en vérité, j’pourrais me contenter de foutre le feu au building. Sauf que si j’fais ça, j’met en péril l’existence du quatrième cercle qui sera relaté au troisième. La SOW doit rester en vie si j’veux retrouver mon passé, c’est le concept.

John Deveil : C’est une exploration de ton inconscient?

Zakarov : C’est l’explication la plus plausible, je crois pas au surnaturel.

John Deveil : Donc vous pensez retrouver ton passé par la douleur ?

Zakarov : C’est mon dernier recours. J’ai essayé pendant un an de retrouver mon passé avec les administrations, des détectives privés... Ils n’ont rien trouvé. Je suis un grand inconnu aux yeux du monde. Et donc mon histoire est inconnue. Je me suis réveillé dans un hopital Américain voilà un an et demi. J’me suis réveillé, j’ai demandé comment j’étais arrivé là, j’ai fais face à une secrètaire “nouvelle” qui savait pas vraiment. Je pense que l’endroit était pas tout à fait normal, ça m’étonnerait pas d’avoir perdu des organes dans l’affaire, mais j’suis en vie, et c’est le principal. Dans mon sac, j’ai retrouvé un mot “Merci de m’avoir aidé, nos routes se séparent maintenant, bonne route mon ami. Si vous lisez ce mot, n’essayez pas de me rattrapper, et si l’envie vous dit de courir après notre histoire, sachez que votre parcours sera long... Profitez de la vie, vous l’avez mérité”. J’ai trouvé ça digne d’un bon roman. Sauf que c’est ma vrai vie.

John Deveil : On commence à y voir un peu plus clair. Faudrait chercher la personne qui a écrit ce mot.

Zakarov : Ca serait trop simple, elle a changé d’identité, ou elle est morte.

John Deveil : On en sait rien, on analysera ce chemin aussi. En attendant, tu vas faire quoi à la SOW?

Zakarov : Toucher ma paie et attendre le troisième cercle, pardis. J’ai rien en vue, j’connais personne, et j’pense que si j’me pointe sur le ring en proposant à quelqu’un de se faire cramer, j’aurais pas des masses d’amateurs, du coup, j’attend. J’pense que j’aurais quelques petits matchs puis j’aurais l’occasion de voir le troisième cercle. C’est pas un putain de jeu vidéo, j’te l’ai dis, c’est la vraie vie, j’ai pas un temps limité pour remplir les cercles. Evidemment, j’remplirais peut être pas tous les cercles mais bon, la grande horloge se satisfait de peu.

John Deveil : La grande horloge?

Et merde. J’pensais devoir remobiliser le concept encore une fois. Du coup, on zappe cette partie là du dialogue, vous suffit d’avoir lu le journal 1 pour savoir que le truc fait tic tac dans mon crane.

John Deveil : Et du coup t’as voulu te maquiller?

Bah ouais, forcément, quand on zappe une partie de dialogue, on peut se retrouver à des endroits improbables. Mais vous allez voir, vous allez vite comprendre quoi il parlait.

Zakarov : J’ai d’énormes cicatrices sous ce maquillage blanc, du coup, j’préféré le laisser en permance. Puis, ça me donne un coté freak que j’adore. Ca fait peur aux gens.

John Deveil : Tu veux inspirer la peur?

Zakarov : Nan pas du tout. J’veux aspirer mon passé.

John Deveil : C’est plutot beau ce que tu dis. Bref, je crois que t’en a assez dit pour aujourd’hui. On se refixe un rendez vous bientot, Sir Wilson paie tes scéances. Tu vas aussi devoir consulter un médecin de la fédération afin de voir ce qu’il peut faire au niveau des plaies qu’il te reste.

Et l’autre rendez vous était fixé. La SOW, c’est un espèce d’hopital pour moi jusqu’ici. Mais pas un enfermement en tout cas. En cloturant ce second journal, j’m’apprette à fermer ma valise et à me diriger vers le lieu du show de lundi. J’aurais peut être une apparition à y faire. Ou pas. On m’a encore rien dit. A bientot, lecteurs.