La journée avait été rude et chargée. Dès l'aube, mon entraînement avait commencé. Ainsi, poids et altères j'avais levés, course j'avais effectuée, et observation de Charlie Green j'avais faite et ce, toute la journée durant. Certes, je ne pus accomplir ces tâches sans l'aide d'un entraîneur d'exception, qui lui-même s'était occupé de mon frère aîné, et cette aide apportée me procurait, sans l'ombre d'un doute, un avantage certain. Peter, de son prénom, savait comment s'y prendre pour porter au plus haut sommet un athlète de mon calibre. Et puisque le succès et le talent coulaient d'or et déjà dans mes veines, l'aventure était d'autant plus aisée.

Néanmoins, à l'heure actuelle, le soleil avait laissé sa place à l'astre nocturne rond et blanc et, reposant tout mon être au creux d'un moelleux et douillet fauteuil rougeâtre, je profitai du moment. Non pas seulement pour récupérer de la journée, mais aussi pour faire le point sur le récent discours de Charlie Green. Ses paroles remplies de mensonges me taraudaient l'esprit et j'avais la ferme intention de ne point laisser la situation dégénérer à la rigolade. Le champion - sans doute - se croyait grand et fort et clamait courage et ténacité dans une symphonie désagréable. Mais, pauvre de lui, certains aspects se jouaient de lui. Il ignorait des éléments fondamentaux de notre situation. Tel un maître de classe, je ne tardai pas à lui remettre les idées en place.

"L'ignorance et le jugement sont des termes dont le sens est utilisé à tort et qui portent leur utilisateur à s'égarer du droit chemin et à créer dans son esprit une fausse vérité adoptée comme réelle et absolue. Bien corniaud celui qui accepte ce brouillard de faussetés et qui y établit les fondements de sa vie. Tu me vois navré, Charlie Green, mais il semble bien tristement que tu aies fait dériver ton être exactement dans cette situation. Tu ignores absolument tout de moi, si ce n'est de connaître courts détails de ma vie, et juges promptement mon passé, mon présent et mon futur avec une adresse qui m'ait été rarement permis de voir. Tu te noies dans un océan de mensonges et tu me déçois. J'aurais cru un champion de ta trempe et avec ton expérience avoir l'œil plus aguerri, mais semble-t-il que l'habit ne fait pas le moine. Une autre leçon de la vie.

Bien mauvais était ton calambour avec mon patronyme. Sache d'abord que, pour ma part, il n'y a eu qu'une traduction de l'anglais vers le français du tien. Si la langue de Molière te heurte et t'insulte à ce point, veille à le faire savoir à l'avenir, mais bien des partisans de la douce langue te courront aux trousses pour tes aveux hérétiques. Aussi as-tu attrapé en plein vol l'idée de l'insulte d'origine et t'es-tu amusé à en faire de même avec moi. Le "King", "Elvis Presly", la "Holy Gate"... diantre que tu es génial. Si ce n'était des millions d'autres vauriens qui ont déjà fait une blague du même acabit, j'aurais pu te trouver original. Mais faut-il croire que ce n'est point le cas. Seuls quelques élus réussissent à sortir du lot commun des mortels. Force est de constater que ce même lot t'écraser de tout son poids. Peut-être est-ce ton statut vétuste de lutteur hardcore qui te fait agir de la sorte. J'ose espérer que je ne deviendrai jamais comme tel lorsque j'aurai la ceinture autour de la taille dès lundi.

J'essaie encore de comprendre ce que tu cherchais à faire. Peut-être mon message est-il resté incompris dans le néant que compose ton esprit. Prétends-tu savoir qui je suis? Si tel était le cas, tu n'oserais pas me comparer à Elvis Presley. Si la chance avait pu venir te susurrer à l'oreille l'implication des Holygates dans le succès et la gloire qu'a connu Elvis Presley, tu aurais repris tes paroles avec l'adresse qui est tienne pour ne plus jamais les faire entendre. Entre le surnom et le statut d'un "King", il y a une bonne marge..."

Un bruit timide me fit dévier de ma concentration. Du coin de l'œil, cependant, j'aperçus mon chien passer dans le corridor. Fausse alerte. Je repris.

"Sans doute es-tu devenu champion grâce à des capacités particulières. Note ici l'usage du terme "particulières" et non "supérieures", car ce dernier m'est réservé. Je constate bien humblement que la division hardcore de la SOW te voit être son champion depuis un certain moment déjà, et ceci est tout à ton honneur. L'autre côté de la médaille néanmoins, c'est que bien rares sont les challengers au titre, encore plus les participants réguliers. Ce qui pousse à croire que depuis le départ de Billy Dirnt, tu es bien seul dans ton petit royaume. Deux coqueluches luttant pour un même titre, c'est bien dommage. Mais! réjouis-toi. Encore faut-il compter deux pugilistes pour la division hardcore - toi et moi - rien n'indique que durant mon règne, je resterai seul. Bien évidemment, je t'imagine entrain de demander à Sir Wilson un combat revanche contre moi, pour te donner corps et âme dans la reconquête du titre, mais l'intuition m'amène à croire que d'autres aspirants se rajouteront et que le titre hardcore regagnera ses lettres de noblesse. Quoi de mieux qu'un noble pour les lui redonner, hum?

J'aimerais discuter d'un autre point avec toi, Charlie. Corrige-moi si je ne m'abuse... en fait non, tais-toi. Mais, j'ai cru ressentir de la colère et de la haine dans tes propos qui me laisse croire qu'une peur se cache derrière tout ce beau discours étoffé. Ne l'oublie pas: nous ne nous connaissons pas. La première et dernière fois que je t'ai "parlé", si je peux emprunter l'expression, j'ai raconté un magnifique rêve que j'avais fait. Un rêve comme ce qu'il y a de plus simple, démontrant simplement le futur de nos activités. Faut-il croire cependant que ce rêve est allé te toucher une corde sensible, car comme un chien enragé, tu es revenu à la charge en me racontant ta toute belle histoire de lutteur, me clamant ô combien tu as travaillé fort pour avoir ce titre, ô comment tu as gagné ta ceinture, et ô candidement tu crois la garder. Ce genre de réaction n'est pas celle d'un homme en confiance, mais d'un homme sur la défensive. Tu n'es pas en mode attaque, Charlie: tu essaies de survivre. Quand m'as-tu entendu essayer de t'impressionner avec mon actif? Avec ma seule victoire, comme tu le dis si bien? Jamais. Alors diantre, pourquoi t'acharner sur ce point et l'utiliser à mes dépens? Que crois-tu créer en moins? Un débalancement de confiance? Bien sot es-tu. Je n'en ai jamais fait mention parce que je sais pertinemment bien qu'il est inutile d'en faire usage. Une seule victoire n'impressionne pas même le plus peureux des guerriers! Sauf qu'il faut garder en tête une chose: il faut bien commencer quelque part. Toi aussi, Charlie, tu as commencé quelque part... tu t'en souviens, hum? Oui, alors que moi j'ai un combat et une victoire à mon actif, il t'as fallu cinq combats et cinq défaites avant de savourer ta première victoire. Et ensuite as-tu le culot de venir me faire la morale sur mes performances? Mais quel genre de clown es-tu, Charlie Green? Pour qui te prends-tu? Non, tais-toi, ça ne m'intéresse pas de savoir.

On dirait que tu cherches à te prouver, à te redonner la confiance que tu as perdue. Je ne sais trop si c'est à cause de ma venue que tu agis de la sorte, mais force est de constater que tu sembles bien inquiet. Sans même t'avoir posé une seule question, sans même t'avoir adressé un seul mot, tu m'as balancé au visage moult arguments et m'as raconté tout ce que j'avais besoin de savoir sur ta carrière à la SOW, comme si je l'avais mise en doute. Tu cries au loup avant même de l'avoir aperçu, Charlie. Serait-ce ma stature imposante qui te fait défaut? L'origine de mon nom? Ou ce que je m'apprête à faire avec ton titre? Peut-être un heureux mélange de tout cela. Tu m'as l'air du guerrier qui vient de loin, qui essaie de se sortir d'un vortex de honte, mais qui semble avoir du mal à y arriver. "

En prenant une pause, j'empoignai la coupe de champagne qui m'attendait et j'en bus une gorgée. Délicieux.

"Je n'aime pas les gens qui essaie de se montrer plus grands qu'ils ne le sont en réalité, Charlie, ce qui fait que je ne t'aime pas. Je me demande encore comment tu peux oser croire que tu m'es supérieur. Sur quelle planète vis-tu? Je te cite: "Je pourrais passer la journée pour dire à quel point je suis supérieur à toi, [...] les gens l'ont vu depuis quelques mois." Oh wow..."

J'applaudis.

"Non seulement es-tu trop couillon pour réaliser l'étendue de tes mensonges, mais tu y crois! Et d'autant plus que tu viens renforcir tes dires avec tes... deux mois de règne. Tes quelques mois de règnes te sont ce qu'est ma première victoire pour moi: une vétille. Vas-y, je te laisse le temps de chercher la signification de ce mot, nous nous reparlerons ensuite..."

J'attendis un petit moment.

"Trouvé? Bien. Alors voilà. L'illogisme dont tu fais preuve te permet de te prétendre supérieur à moins parce que tu as autour de la taille un titre secondaire depuis quelques mois? Sais-tu seulement d'où je viens? Connais-tu la puissance du patronyme Holygates? Si j'étais toi, je serais honoré de me faire botter les fesses par un Holygates. De te trouver en ma présence sur le ring, c'est déjà un cadeau. J'ai plus de talent que tu ne pourras jamais l'imaginer. Je ferai tout ce que tu fais, mais d'une façon encore meilleure. Je penserai tout ce que tu penses, mais encore plus loin. Je verrai tout ce que tu vois, mais d'une acuité encore plus juste. Je te serai, dès maintenant et pour toujours, supérieur en tous points, Charlie Green. Tout simplement parce que je suis un Holygates. Je t'entends déjà geindre, mais tu ne feras que nier la pure vérité. Tu ne peux pas être à mon niveau. Je possède des capacités que tu n'as pas, comme l'homo sapiens sur l'homo néanderthalensis.

Quand je t'écoute parler, j'entends les classiques: je vais te montrer ce qu'est la peur, je suis là pour rester, tu n'es rien, et patati et patata. Je réitère mon jugement: tu es pitoyable. Il y a des gens réellement supérieurs, Charlie, et ceux qui tentent de l'être, et tu fais partie de cette deuxième catégorie. Je finirai bien par te donner la preuve de mes dires lundi.

Sache, grand homme, que je n'ai nul besoin de tes conseils pour avoir du succès dans ma carrière, et dans celle hardcore que je vais commencer sous peu. Non, le nom Holygates ne se retrouve pas à côté d'un règne de champion hardcore bien futile... mais il se retrouve à côté d'un règne de champion mondial. Et bien davantage. Peux-tu en dire autant de toi? Peut-être me diras-tu que mon frère n'a pas d'importance ici, je te l'accorde. Mais il reste que dans ton isolement de croyances erratiques, tu places le championnat hardcore à un niveau beaucoup trop élevé pour ce qu'il est réellement. Je n'ai pas le choix de lutter pour le titre, car c'est ici que j'ai été placé. Je livrerai la marchandise, coûte que coûte et tu finiras par voir le nom Holygates à côté du championnat hardcore, mais j'aimerais que tu entres dans ton esprit que, d'ici quelques mois, alors que tu courras encore pour le championnat hardcore, je ferai la lutte pour le titre mondial de la SOW. Aux petits hommes les petits devoirs, Charlie. Heureux de savoir qu'avec ton règne de deux mois, tu es le 7e champion avec le plus long règne... tout un exploit. Sur 13 rangs, tu te retrouves au milieu... directement dans la moyenne. Exactement ce que tu es capable de faire: rester dans la moyenne.

L'ignorance et le jugement, Charlie. Puisses-tu un jour réellement comprendre tout ce que cela peut impliquer...

Je décidai de me lever de mon fauteuil. Je regardai l'horloge: il se faisait tard. J'entendais déjà Morphée m'annoncer qu'elle me gardait une place toute précieuse dans ses bras. J'y allai, sans attendre.

Cent vingt kilomètres heure. C'était à cette vitesse, un peu au-dessus de la limite permise certes, que je filais à vive allure, chevauchant tel le vaillant cavalier de sa dame, ma moto de style racer. Une Hayabusa toute neuve, d'un noir d'encre, mais dont la coque miroitait d'un feu étincelant au soleil. Je me sentais libre, à voler au-dessus de la route, comme l'oiseau chasseur frôlant le dessus de la placide rivière avant d'harponner sa proie. Un sentiment intense, qui me procurait une joie indescriptible. La route que j'empruntais m'accordait le privilège certain d'admirer la beauté du paysage. L'aménité de l'endroit m'était paradisiaque.

Alors que je m'évadais dans ce moment unique, des pensées me vinrent en tête. Charlie Green s'était tu, ce qui avait autorisé une accalmie de sa voix nasillarde à mes douces oreilles, et j'avais cru bon de penser qu'il me préparait un discours enflammé et hostile, dénonçant injustice et réclamant ma tête. Pauvre être réduit qu'il était. Je l'entendais déjà gémir jusqu'ici, malgré le casque que je portais.

Je fis fi de lui, et me mis à songer à une autre gangrène de la fédération. Un ancien rugbyman, à la coiffure aussi étoffée qu'un coendou en plein courroux, au visage boursouflé par des vestiges de balafres, et au charisme qui vous rappelle celui du macchabée de polatouche après une mauvaise chute. Un certain Croc Cassidy, au final. L'on ne savait trop d'où il venait, mais il se plaisait à raconter que sa présence était le fruit d'un amour inconditionnel des bagarres, supporté par l'attirance irréductible de nouveaux défis. Quel dessein des plus louables... En d'autres termes, je crus comprendre qu'il aimait se faire taper sur la gueule et revenir avec les incisives frontales manquantes, sourire tout balourd au visage. Un futur prix Nobel, en effet.

Encore heureux qu'il ait appris de ses erreurs passées, lors de notre dernier affrontement. Fut-il influencé par une naïve journaliste aux allures de péripatéticienne vociférant le vol d'une victoire par ma personne, l'andouille eut au moins la décence d'esprit de corriger la fausseté et d'avouer sa maladresse. Soulagement pour mon être. De courte durée, toutefois, puisque l'hérétique s'enhardit avec une formule dérisoire évoquant une caractéristique de type "générique" pour peindre le talent qui était mien. Sacrilège! Comment osait-il, lui qui venait de perdre son premier combat, lui qui venait de laisser glisser entre ses doigts la seule parcelle de dignité qu'il possédait, lui qui outrageusement se croyait apte à se remplumer de ce fiasco cuisant subit tout récemment? Je lui aurais craché au visage, lui aurais crevé ses yeux vitreux. Je me demandais encore comment une telle idée impie pouvait naître dans cette tête si vide, là où même la plus petite des pensées créait une onde d'écho à vous en soutenir une discussion!

Il me traitait de lutteur "générique", moi, l'Étalon, déjà fier et frais vainqueur de son premier combat. Si générique fut mon âme, elle n'aurait pas daigner à abreuver mon désir de vaincre et soutenir mes capacités afin de me faire décrocher la victoire! J'étais la meilleure des recrues à la SOW présentement, et cela ne tardait quant à ma consécration en tant que champion suprême de la fédération. Peut-être cet homme aurait-il fait mieux de rester sur le terrain de son sport, à courir comme une volaille acéphale. S'opiniâtrera-il probablement à me prouver le contraire, mais je savais ad hoc qu'il jouxtait la catégorisation d'incompétent et de sinoque.

Je ne voulais plus m'attarder à ce fou, mais force de croire que son discours mensonger m'avait insulté. Et pour ajouter l'insulte à l'injure, ce dysarthrique ne pouvait tout bonnement pas prononcer mon nom! Quelle couille! Je me demandais qui était le plus bouffons des deux: Cassidy ou Green? Je n'aurais su répondre à cet instant précis, tant l'ire m'infestait. Il supposait même que certains des autres lutteurs puissent m'égaler, moi, Keith Holygates! Il était un cas de psychiatrie, définitivement. The N, Dylan Starr et l'autre cabochon de Mr. Excellent, mes égaux? On ne juge pas la qualité d'un homme sur ce qu'il prétend être, mais sur ce qu'il fait! Je savais qu'il finirait bien par voir la vérité sur ma supériorité face aux autres... une fois que je lui aurais enlevé mes doigts dans ses yeux vitreux.

Par frustration, mais aussi pour oublier ce mauvais moment, je tournai l'accélérateur de ma moto, et le moteur s'emballa pour m'amener encore plus loin, plus vite. Les dents serrées, l'idée qu'un jour, je ferai payer Cassidy pour ses propos germa dans mon esprit. Et je la savourai. Seulement, pour l'heure, je devais me concentrer sur Charlie Green. C'était tout ce qui importait... Sa ceinture, surtout.

Voilà! Je l'avais. C'était fait. Mon rêve prémonitoire, mon discours confiant et véridique, les peurs de Charlie: tout cela s'était réalisé. Elle était là, bien installée autour de ma taille - sa nouvelle demeure - à me décorer de ses plus beaux atouts. La toute fantastique et maintenant beaucoup plus superbe ceinture de championnat hardcore de la SOW. J'avais gagné! Aussi nettement et simplement que cela. Diantre que c'était bon. Deux combats depuis mon arrivée, deux victoires et, en bonus, un titre. Même mon frère James, aussi talentueux fut-il, n'a pas réussi cet exploit. Mais moi, si! Que c'est bon d'être fantastique.

Je venais tout juste de vaincre Charlie Green dans un combat grandiose, comme rarement il nous eût été permis de voir. Je l'avais dominé - oh oui! - et, malgré les quelques ecchymoses parsemant mon corps, je l'avais dompté, comme le chien qu'il est. C'était ça, la vision que j'avais eue en rêve, celle où il croupissait au sol, à brailler sa vie, sa douleur, sa honte, alors que moi, tout fier conquérant, je soulevais ma ceinture au ciel pour l'honorer. Je lui avais définitivement fermé la grande cavité nauséabonde qui lui servait de bouche.

Alors que je m'apprêtais à sortir de ma loge, mon téléphone portable vibra. Je l'agrippai puis regardai le numéro affiché. Ha! Ha! Ha! Je savais qu'il n'allait pas tarder.

"Allô grand frère! ... Ha! Ha! Ha! Merci! Merci! C'est tellement bon d'être champion! ... Ah bien sûr, une sacrée raclée! Digne des plus grands botteurs de fesses de l'Histoire! .... Absolument. Un Holygates reste un Holygates, et ils sont tous des champions! ... Certainement! Viens la voir quand tu veux! Passe-moi un coup de fil cette semaine et nous nous ferons un somptueux souper! ... Oui oui, et en plus..."

Alors que je faisais la conversation à mon frère, un hurluberlu, aussi subtil qu'un hippopotame dans un carré de sable, frappa à ma porte. Je la regardai du coin de l'oeil et lui criai d'entrer. Alors que j'essayais de garder le fil de la conversation, cet homme, dont j'avais quelques fois entendu parler mais avec qui je n'avais jamais conversé, se tenait debout, là, devant la porte, micro en main, et semblant s'interroger à savoir s'il pouvait, oui ou non, me déranger durant ma conversation. Je pris la décision pour lui.

"Bon, je te rappelle, il y a quelqu'un pour moi... Ha! Ha! Ha! C'est ça, déjà un fan! On se rappelle... Bye!"

Je raccrochai.

"Vous êtes?", lui demandai-je.

Il s'approcha de moi d'un pas confiant. Trop peut-être, car je bondis vers l'arrière en lui plaçant ma main devant moi, de façon à lui bloquer l'élan.

"Je suis..."

- Wo! Wo! Wo! On se calme, jeune homme! Je vous prierais de bien vouloir garder vos distances! Vous vous adressez à un champion!

Il voulut avancer.

- Mais je...

- Je vous avertis! Je ne vous le dirai pas deux fois! Un pas de plus, et je vous balance mon saint pied directement dans votre sainte gueule!

Voilà. Il écouta... et c'est tout ce qu'il fit. Pauvre idiot décontenancé.

- Donc... vous êtes?

- Ah! Euh, bien, je suis Phil Safino, interviewer de la S..

- Oui oui, je sais. Vous êtes interviewer, pas concierge. Il devrait y en avoir un d'ailleurs, ça me semble tellement crasseux ici...

- Euh, oui... bon. En fait, je suis venu ici pour récolter vos commentaires à la suite de votre combat contre Charlie Green.

J'étais ravi.

- Vous avez beaucoup de temps devant vous?

- Euh... Pas si mal, oui.

- Eh bien pas moi. Alors je vais faire ça court. L'être supérieur que je suis vient tout juste de prouver au monde entier, lors d'un combat magnifique orchestré, que son discours qu'il a tenu durant la dernière semaine n'était que vérité pure et simple, de A à Z. J'avais sommé Charlie Green de prendre garde à ses pensées vaniteuses et mensongères, qu'il pourrait trouver le chemin de l'humiliation et de l'amère défaite s'il continuait en ce sens. Eh bien, tête insignifiante qu'il est, il ne m'a pas obéit. Eh bien soit! Voilà ce qui arrive. Il a perdu. J'ai gagné. La ceinture me ceint désormais le tour de la taille et, je vais vous avouer bien honnêtement, c'est à croire qu'elle a été forgée expressément pour moi! Elle me va si bien...

- Mais concernant l'...

- Taisez-vous! Bon dieu... ne vous a-t-on donc jamais appris qu'il est impoli de couper la parole à autrui?

- Euh...

- "Euh! Euh! Euh!" N'êtes-vous donc point capable de cacasser autre chose? Laissez l'Étalon articuler devant les dieux. Ainsi disais-je, Charlie Green eut bien le loisir de défendre vertu et sagesse de son monde imaginaire, mais l'on savait fort bien toute la jobarderie que cela cachait. Il martelait des propos jugés convaincants, mais cachant un fond de crainte, clamant d'être fort - il n'a pas tort - et me racontant son histoire personnelle, me disant ô combien il dut travailler fort pour obtenir ce qu'il convoitait, et ô combien ceci, et ô combien cela... eh bien j'ai un truc à te dire, Charlie Green: tes phrases vides de sens n'ont mené à rien, et j'ai ô combien magnifiquement bien gagné le titre!

- Mais maintenant que vous êtes champion hardcore, vous savez que vous avez le pouvoir de démarrer la stipulation 24/7 quand vous voulez.

- Bien sûr! Je sais tout ceci. Seulement, vous devez comprendre une chose: étant donné que c'est moi désormais le champion hardcore, c'est moi qui décide quand je fais le 24/7. Et donc, tous les prétendants au titre devront se soumettre à ma volonté. Le grand Keith Holygates est maintenant le seul maître à bord, et il n'a pas l'intention de se faire barber par des petits vauriens.

- Charlie Green n'en restera pas là à la suite de votre combat. La façon dont vous l'avez remporté risque de ne pas lui plaire...

- Quoi? Qu'a-t-elle donc, cette "façon" de remporter?

- Bien, vous avez profité de l'intervention de Cassidy et du fait qu'il se soit fait écraser sur une table par Green pour le surprendre avec un roll up et remporter la victoire.

- Mon cher, vous venez de décrire à merveille la plus belle façon de gagner un combat, c'est-à-dire de savoir profiter de l'occasion lorsqu'elle se présente. Charlie a préféré perdre son temps avec la face de ratite à Cassidy, et donc en a payé le prix. Il n'y a rien dans ce combat qui soit illégal. S'il advenait le cas qu'il se sente lésé, lui qui était le premier à venir me faire la morale sur les atouts que devrait posséder un champion et sur les "lois" du hardcore, il devrait savoir que rien dans un combat hardcore n'est illégal. Ainsi, l'intervention de Cassidy ne compte pas. Et que j'en aie profité est tout à fait légitime. De toute façon, l'occasion se montrera probablement de nouveau où j'aurai la chance de lui clouer le bec encore et encore, lui qui voudra sans doute essayer de regagner la dignité qu'il a perdue.

- J'aimerais aussi aborder le sujet de...

- Taisez-vous! Je n'ai plus de temps à vous accorder. Veuillez me rendre service et escorter votre carcasse en dehors de ma loge. Je dois quitter prestement.

Je lu dans son visage la surprise et, renfrognant, il tourna le dos à son champion hardcore et quitta les lieux en baragouinant des mots trop bas pour que je puisse les entendre. Cela m'importait peu. Qu'il se fasse l'estafette de la vexation, je n'en avais que faire.

Alors que je m'apprêtais à sortir, en me retournant, un long bras décoré de tatouage, cicatrisé et brûlé me bloqua la route. Redressant mon sourcil en signe de questionnement, je vis une femme, belle certes, tant que je lui aurais exploré les confins de son corps de femme, mais ce bras qu'elle appuyait contre le mur me forçait à garder une certaine réserve. Elle bougea lentement dans l'embrasure de la porte; j'eus cru qu'elle voulât attirer mon attention. Ses deux jumeaux frontaux attirèrent d'abord mon regard, que je plongeai ensuite dans le sien. Il semblait dénudé de tout sentiment, à la légère exception que je crus déceler une touche de mépris. Je la reconnu: c'était Fourecks.

- Congratulations... Félicitations pour ta "victoire"...

Ses yeux descendirent d'un cran vers ma ceinture pour une courte seconde avant de les replonger dans les miens - ils avaient un bon ton de vert, bien qu'un des deux soit plus pâle que son comparse - ne démontrant ni de fausse fierté ni un goût de plaisanter.

- J'ai pris soin de suivre le match... On fait ce qu'il faut pour gagner, c'est sûr... Mais tu n'as pas la tête d'un champion hardcore. Quand je vais vouloir récupérer ma ceinture, ça devra finir en bain de sang. Et j'espère que tu auras encore ta ceinture, bel homme... que tu seras un peu plus balafré. Sinon, c'est moi qui vais te taillader, et tu sauras ce qu'est du vrai hardcore.

Ouh... la farouche. Je m'en serais fait une brochette. Elle laissa sa main tomber, s'attribuant le droit de toucher ma ceinture du bout des doigts avec un air tendre, avant de m'adresser un regard sans humour. Je lui agrippai le poignet et la rapprochai de mon visage.

- Ce jour-là, mon petit vestige de Tchernobyl, je t'attendrai. Et j'en profiterai pour te claquer les fesses avec ma ceinture que tu chéris tant, pour que tu te souviennes pour toujours de la position que tu auras face à moi: à genou, par terre.

Je la repoussai et quittai. Je perçus néanmoins un sourire en coin sur ses lèvres, mais je ne m'y attardai pas. Le restant de la soirée m'attendait et je comptais bien festoyer ma victoire en bonne compagnie!