Une canette de bière, ya rien d'mieux pour se réchauffer pendant l'hiver, ouep ! Regardez-moi tous ces balais dans l'fion qui circulent d'vant moi sans même m'adresser un seul regard. Bande de pequenots cousus d'or se foutant bien des clodos comme moi. Je rends bien leur dédain à coups de crachats sur leurs mocassins nettoyés trois fois par jour. Mais je me plains pas d'ma vie. En fait j'suis beaucoup plus libre qu'eux. Pas de retard, j'ai pas d'boulot. Pas de condamnation, j'ai pas d'maison, pas d'pognon, et pas d'marmots. Enfin j'crois pas. Satanée mémoire foutue à blanc.
On m'appelle simplement "le clodo". Bah ouais, pas de nom, ça sert à rien quand on est SDF. Pis de tout'façon je me rappelle pas du mien, et je le vis bien. En fait, je m'en fous. Tout c'qui m'importe, c'est d'avoir ma canette de bière pour me sentir bien au chaud. J'essaie de pas penser au passé. De toute façon, mon passé se compte en semaines, pas plus. Ouais on peut dire que je suis né ya deux s'maines, sans papiers, sans rien, juste un manteau épais qui m'sert de couverture et la rue comme seul foyer. Je squatte les églises et les organisations non gouvernementales pour un peu de pain à me mettre sous la panse, c'est gratuit autant en profiter hein !
Ouais, je visite, je profite du paysage de grand hiver qu'offre Montréal. J'ai pas l'accent d'ici et j'comprends pas très bien leur langue française, à part quand ils utilisent des mots anglais. Surtout "fucking" en fait. Bah c'est c'que j'emploie quand on me fait chier : "go fuck yourself", que je leur dis à ces bourges graisseux, ces gros dindons fanfaronnant en costumes cravate ou en jean rapiécé dernier cri d'chez Levis tout en se caillant les miches avec le vent froid. Moi au moins j'ai un manteau qui SERT A QUELQUE CHOSE, bande de mou du bulbe !
C'est pas tout, mais faut que j'trouve un coin pour dormir, y s'fait tard.

- "Besoin d'aide ?", lanca soudain une femme que je connais pas du tout.
- "J'crois pas vous avoir sonné, ma'ame", répondis-je du ton habituel du mépris à l'égard de la gens bien portant.
- "Etes-vous toujours aussi méprisant quand on vous tend la main ?", s'exclama cette femme d'un ton calme, avec un sourire surprenant de gentillesse.
- "J'vous connais pas. Pourquoi m'aider ?"
- "Il va faire très froid cette nuit."
- "j'ai pas froid, ma'ame."
- "Et faim ? Ou soif ?"
- "Si vous m'offrez une bière, chuis pas contre."
- "Cela peut se faire. Vous vous appelez comment ?"
- "J'ai pas de nom. On m'appelle juste le clodo."
- "Amnésique ?"
- "S'possible, ma'ame."
- "Je peux vous en donnez un si vous voulez."
- "Pour c'que ça vaut, vous faites c'que vous voulez."
- "Allan, ça vous va ?"
- "Z'avez pas mieux en stock ?"
- "C'est toujours mieux que de ne pas avoir de nom."
- "Mouais c'pas faux. Et vous, ma'ame, c'quoi vot' blaze ?"
- "Je m'appelle Alicia. Venez, ma maison est à quelques pâtés de là. j'ai de la bière fraîche."
- "C'pas d'refus ! Mais j'vous préviens, je tiens à mon manteau !"

Comme quoi, on peut s'tromper sur les personnes, hein ?

Bienvenue ici, le clodo...j'ai déjà eu cette gimmick et c'est sympa à joué :)

Baltimore, Maryland, USA
21 décembre 2012, 2h32

- "Damn...", gromelle Isaac, se réveillant en sursaut, "pas moyen de faire une nuit complète sans un seul fucking coup de téléphone..."

Cherchant en tatonnant dans le noir complet, il finit par se saisir de son téléphone portable sonnant à tue-tête. D'un regard encore embrumé par l'interruption brutale de son sommeil, Isaac soupire, et se fait violence pour répondre.

- "J'espère pour toi que c'est important, Micky, sinon je te botterai le cul tellement fort que tu risques de ne plus t'assoir pendant un bon mois."
- "Oui, moi aussi je suis content d'entendre ta voix, buddy."
- "Allez accouches, qu'est-ce qui se passe ?"
- "Prépare tes affaires et ton passeport, nous partons pour Montréal. On doit rouvrir un dossier de meurtre en série. Je t'expliquerai en route."
- "Donne-moi une heure, je te rejoins à l'aéroport."

Isaac sait quand son partenaire est sérieux ou quand il déconne avec son humour pince-sans-rire. Et à sa voix, il ne fait aucun doute, le boulot l'appelle encore. Douche tiède rapide histoire de rester éveillé, il dormira pendant le vol. Valise prête, il ne prend que le strict nécessaire pour quelques nuits d'hôtel. Et bien sûr le téléphone. Il sait qu'à un moment donné, il allait passer un certain coup de fil, il a un pressentiment, une de ses intuitions qui présages d'une nuit mouvementée.


Montréal, Quebec, Canada
21 décembre 2012, 7h37

Le trajet fut sans encombre, Isaac a pu récupérer quelques heures de sommeil malgré une ou deux légères turbulences. Il avait besoin de ses huit heures de sommeil, sous peine d'être d'humeur massacrante pendant toute une journée. Fort heureusement, Mickaël Fontelli, alias Micky, est une des rares personnes dotée d'une immunité aux montées de lait de son coéquipier. Il sait y faire malgré la différence de gabarit - Isaac est un vrai mastodonte, taillé dans la roche, et son crâne rasé lui donnait l'air d'un mec peu fréquentable qu'il ne faut pas emmerder.

Le dossier n'était pas des plus récents, datant de plus d'un an, mais Isaac pensait qu'il n'était plus que de l'histoire ancienne. Il ne voulait pas y croire, mais pourtant tous les éléments le ramènent à la dure réalité. Un dossier épineux, et franchement merdique, mais là n'est pas son principal souci. Il veut en avoir le coeur net avant d'en tirer des conclusions hâtives. De toute façon, il lui faut son café serré avant toute réflexion, aussi les deux hommes se rendent à un Starbuck et commandent leurs boissons. La neige a répondu présent, et ils ont eu beaucoup de chance d'avoir pu prendre un vol n'ayant pas té annulé.

- "Le tueur a bien choisi son moment pour recommencer, tu ne crois pas ?", plaisante Micky, prenant un faux air sérieux malgré le froid mordant.
- "Mouais. Tu m'excuseras mais j'étais bien mieux dans mon lit bien au chaud."
- "Le mal du pays te donne un air morose, buddy. Respire, mon vieux ! C'est le Canada ! Le Sirop d'érable et la poutine ! Profite de ton voyage !"
- "Et tu vas me dire que tu aimerais vivre dans un igloo, peut-être ! Regarde-toi, tu trembles comme une feuille."
- "C'est pour cette raison, mon cher ami, que Dieu créa le café", signale Micky en désignant la caissière apportant leurs mixtures brûlantes.

Assis autour d'une petite table ronde, les deux hommes sirotent le café. Tout de suite, le froid est beaucoup plus supportable, la chaleur envahissant doucement leurs corps. C'est agréable.

- "Remontre-moi les photos, j'ai besoin de vérifier quelque chose."

Micky s'exécute, et sort de sa mallette un dossier estampillé du sceau du FBI. Il en extirpe quelques clichés grand format, photos d'une sombre affaire de cadavre relativement frais. Isaac passe sur celles de la blessure fatale au niveau de la gorge, il en connait déjà la raison, de même que l'arme du crime sur une autre de ces photos. Il sait ce qu'il découvrirait s'il s'attardait sur ce couteau de chasse à lame crantée, et surtout à qui appartiennent les empreintes retrouvées sur le manche. Plusieurs questions lui martèlent le crâne, surtout une en fait.

- "Tu penses à un imitateur ?"
- "C'est en tout cas l'explication la plus logique", lui répond son partenaire du tac au tac. "Plusieurs détails ne collent pas. Regarde, la victime n'est pas ligoté et elle n'as pas été retrouvée dans une maison, ou du moins pas à l'intérieur de quelque bâtiment. Et c'est un SDF, pas une personne active comme toutes les autres victimes. Et plus troublant encore, on n'a absolument rien sur ce gars, pas de papiers et ses empreintes n'ont absolument rien donné, ni même l'empreinte dentaire. Que dalle, ce mec est un véritable fantôme."
- "Si ce n'est pas autre chose. Tu as vu s'il avait un tatouage particulier ?"
- "C'est la première chose que j'ai demandé au coroner, et oui, il a bien un tatouage similaire aux autres."
- "Quel numéro ?"
- "Le 8. Le légiste nous donnera les photos qu'elle a prises de l'autopsie. Mais la cause du décès est confirmée, il a bien été égorgé avec le même modèle de couteau."
- "Regarde cette photo et dis-moi ce que tu vois."
- "A part un cadavre de clochard, rien qui sorte de l'ordinaire dans notre enquête."
- "Tu me déçois sur ce coup là. T'es sûr que tu as bien dormi ?"
- "Mieux que toi en tout cas."
- "Regarde bien ses vêtements. Tu ne trouves pas qu'ils ne sont pas aussi sales que ne peuvent l'être ceux d'un SDF ayant vécu dans la rue toute sa vie ?"
- "Ouais, pas faux", acquiesce Micky. "Un nouveau dans la liste ?"
- "C'est ce que je me demande aussi. Mais il y a autre chose. Selon le rapport de police, la victime n'a pas été tuée là où ils l'ont trouvé, il n'y a pas de traces de sang qui permettent de dire qu'elle a été égorgée sur place."
- "Elle a donc forcément été déplacée. Ce qui veut dire..."
- "... que le tueur n'est pas forcément un copycat.", conclue Isaac en soupirant.
- "Tu te rends compte que si cela s'avère vrai, on aura un gros problème sur les bras ?"
- "Je sais, je sais. Ca ne m'enchante pas plus que toi, je te rassure", acquiesce Isaac en donnant un billet à son partenaire. "Demande la note, je vais passer un coup de fil. Je n'en ai pas pour longtemps."

Parfois, il déteste avoir raison. Retour à la case départ, et le temps joue contre eux. Il compose un numéro de téléphone.

- "Allan ? C'est Isaac. Tu ne vas pas aimer la nouvelle que je vais t'apprendre... Oui. Alicia est vivante. Et elle vient de recommencer à tuer."

Montréal, Quebec, Canada
23 décembre 2012, 0h12

Moteur éteint, la nuit froide et silencieuse domine à nouveau le paysage gelé de la capitale québécoise. Peu d'âmes aux alentours, les seules personnes osant braver la morsure glaciale de l'hiver reste les prostituées devant gagner leur croûte en courbant de l'échine et écartant les cuisses au plus offrant. J'imagine que l'envie de vivre demande des concessions, voire des sacrifices. Mais je ne tiens pas à perdre le peu que j'ai pour quelques dollars de plus. Malgré le cachet que procure une Mustang, dans ce coin perdu de la banlieue montréalaise, je passe relativement inaperçu. Oh bien sûr, quelques-unes de ces travailleuses du plaisir tentent leur chance et frappent à la vitre de ma voiture, pour leur voir essuyer un refus catégorique. Désolé, pas ce soir, je n'ai pas la tête aux galipettes, et certainement pas avec une fille de joie.

Le café est presque brûlant, mais je le déguste sans mal. Bien corsé, agréable, il me tient éveillé, même si je ne dors que peu la nuit actuellement. trop de questions qui se bousculent, de nouvelles depuis deux jours martèlent mon crâne amnésique. Les réponses sont là, dans cette ville figée par le froid, je dois les trouver pour avancer. Car tout comme la glace recouvrant les lacs et rivières, ma mémoire reste figée, comme bloquée par un mur, empêchant tout contenu de se déverser en un long fleuve tranquille à portée de main. L'odeur de la mixture brune savoureuse se fraye un chemin à travers l'air glacé pour atteindre mes narines. J'aime ce parfum, il me relaxe, me permet d'oublier un temps mes tracas quotidiens pour n'apprécier que l'instant présent.

La porte avant droite s'ouvre assez bruyamment, un homme s'installe à côté de moi et referme derrière lui.

- "Le verglas t'a retardé ?", demande le dénommé Isaac.
- "J'ai pris mon temps."

Dire qu'il y a encore quelques mois, cet homme était un inspecteur fougeux ne voulant qu'une chose, me coffrer pour ces meurtres que je n'ai pas commis, borné qu'il était malgré la clameur de mon innocence. La vérité lui a été soufflée aussi vite qu'une balle de calibre .45 traversant sa cuisse pourtant trapue. Il me tend des clichés faits par la police. Je n'y vois qu'une réponse claire.

- "Elle continue exactement là où on l'a interrompue."
- "Pas exactement", coupe l'agent du FBI. "Elle t'a laissé un message. Regarde ça."

Une feuille de papier tachée de sang, pliée en quatre. Trois mots : "ALLEGRA PARKER HAYES".

- "Sa prochaine victime ?"
- "Ou un piège", rétorque Isaac. "Elle a déplacée son corps juste devant un endroit précis, un endroit que tu connais."

Il me tend une autre photo. Effectivement, je m'en souviens.

- "La Sanctuary of Wrestling ?"
- "Si tu veux mon avis, elle veut continuer ce petit manège avec toi, et pour ça, elle veut que tu ailles là-bas, que tu t'exposes une nouvelle fois."
- "Sinon, elle tuera le prochain numéro."

Un piège aux fils trop complexes pour la désamorcer de l'extérieur. Et il vient de se refermer sur moi sans que je le vois venir. La partie était relancée, et avec elle tout ce à quoi je m'étais résigné à abandonner pour une nouvelle vie. Je redeviens un homme à la recherche de sa vraie identité, marchant devant lui dans l'inconnu le plus total. Sauf que cette fois, je ne suis pas seul aveugle avec une canne pour toute aide.

- "Elle ne me laisse pas le choix."
- "Oh non non non ! N'y penses même pas !", me lance Isaac d'un ton sec. "Elle n'attend que ça, te briser en mille morceaux ! Tu connais ses intentions, et elle ne t'aidera pas à recouvrir ta mémoire. JE ne te laisserai pas faire cette connerie."
- "Je sais. Elle veut que je devienne comme elle. Un monstre dépourvu de scrupules. Un tueur sans remors."

Je l'étais peut-être avant la mise hors circuit de mes souvenirs. Ses paroles résonnent encore dans mon esprits, je me souviens de chacun de ses mots. "Ils nous ont condamnés, car ils ont peur de ce que nous sommes ! Libères-toi ! Laisse-moi t'ouvrir les yeux !". Des mots encore empreints de l'amour qu'elle portait pour moi. Déchiré en deux, je me surprends encore à garder en moi quelques sentiments à son égard. Des souvenirs, sans doute.

- "Mais c'est notre seule opportunité d'arrêter cette folie. On doit la piéger dans son propre jeu. Je n'ai pas le choix que d'y participer à nouveau, et il faut que tu m'aides."
- "Comme tu voudras, tête de mule", soupire l'ancien détective. "Restes toujours à portée d'appel, je continue à enquêter de mon côté."

Pas besoin d'en dire plus, il sait qu'il devra s'y résigner, que je suis plus déterminé à découvrir la vérité peu importe les obstacles qui se dressent sur ma route. Avant de refermer la portière, il se retourne vers moi.

- "Sois très prudent, Allan. J'ai pas envie de me prendre à nouveau une balle à ta place."
- "Je tâcherai de m'en souvenir."

Il m'adresse un sourire, fait assez rare venant de lui. J'ai compris plus tard que, bien malgré moi, j'ai balancé une vanne. Je tourne la clé, le moteur bourré de chevaux vrombit de nouveau. Il est temps de reprendre du service.

Montréal, Quebec, Canada
23 janvier 2013, 8h28

Je ne dors pratiquement plus depuis que j'ai aménagé dans cette ville de froid hiver, et la fatigue commence seulement à s'en ressentir. Attablé à l'intérieur du Starbuck, mon regard se promène nonchalament au dehors, contemplant les flocons de neige lentement se poser sur la chaussée ou les voitures. Voir ce spectacle me détend, j'avais besoin de penser à autre chose, de vider mon esprit de tous ces tracas pourrissant mon existence depuis trop longtemps maintenant, d'aussi loin que viennent mes souvenirs. Ouais, on peut dire que je commence mal l'année. Une folle que j'ai autrefois aimée me poursuit sans relâche, et joue avec ma vie comme avec une allumette souffrée. Et l'ange gardien qui ne donne plus signe de vie, comme s'il s'était soudainement envolé. Parfois, la FWE me manque, j'y trouvais là un second foyer, j'ai toujours espoir qu'elle renaîtra de ses cendres. Et lorsque ce jour arrivera, je répondrai présent.

Mais la nostalgie n'aide pas à avancer, elle est un boulet que l'on traine aux chevilles. Elle ne m'aide pas à retrouver la mémoire, juste à attiser mes peines actuelles. Plus que jamais, je dois survivre avec le peu de moyens que j'ai, redoubler d'efforts. Et cogner, encore et encore pour avancer d'un pas. Mes mains s'endurcissent à force de frapper, mon corps devient plus robuste à mesure que je subis les coups. Mais là, les affres du temps et du manque de sommeil pèsent sur mes épaules et rendent mes paupières plus lourdes, mes gestes plus lents, mes réflexes plus mous. Comme une impression de dégénérescence, une vieillesse accélérée. Non, juste de la fatigue, rien de plus, cela ira mieux après quelques heures de sieste.

Du moins je l'espère. Ces cauchemars deviennent plus fréquents, plus virulents. Toujours plus réels. Toujours elle dans ma tête, toujours ce coup de feu vrillant mes tympans, cette douleur instantanée qui me réveille en sursaut. Je voudrais que tout cela finisse, que mon tourment cesse enfin. Et pour cela, elle doit être arrêtée. Je dois jouer avec elle. Dangereux, mais nécessaire, et surtout, je n'en ai pas le choix.

J'ai dû passer mon ennui au fight club hier soir, après le show de la SoW. Contrairement à la FWE, je ne suis que très peu utilisé. Plutôt que de me battre, je fais office de petit conseiller de pacotille. L'énervement brûlait en moi, il fallait que j'extériorise cette frustration de l'inaction, et je connais un endroit parfait pour cela.

Point Blank. End of the show.

J'accumule les victoires dans ce milieu clandestin. On me cherche des noises, j'y réponds par des coups ajustés. Le Point Blank redevient ce qu'il a toujours dû être, une arme de dissuasion, une botte redoutable et crainte de tous. J'ai appris à lui faire confiance, et à perfectionner ma vision du jeu pour le placer à coup sûr. Bientôt, je porterai le Point Blank à la SoW, et lorsque ce jour arrivera, alors je pourrai enfin pleinement participer au jeu de la mort qui m'attend. Bientôt, Alicia, bientôt...

Cet expresso est toujours aussi bon, bien chaud, bien corsé. En regardant d'un air désabusé le fond de mon gobelet, je repense à cet étrange docteur. Un véritable fanatique baigné par sa mission sacrée. Et qui dit fanatique dit prêt à tout pour accomplir sa tâche, par tous les moyens. Je dois me méfier de lui, il semble m'avoir choisi pour sa prochaine thérapie funeste. Porteur de désespoir que ce Doc Hope, pourtant il ne me fait ni chaud ni froid. J'ai connu pire, bien pire.

Gekko. Desmond Gekko.

Qu'est-il advenu de lui ? Aucune nouvelle, aucune apparition, comme s'il n'existait soudainement plus. Il emporte avec lui des réponses que j'attendais, probablement perdues à jamais. Encore un gouffre qui se creuse sur le chemin menant à ma véritable identité.

On m'apporte un nouveau gobelet d'expresso. Je n'en ai pourtant pas commandé d'autres.

- "Un client tient à vous offrir ce café, monsieur."
- "Qui ?"
- "Ce monsieur là-b... Ah, il a dû partir entretemps."
- "Comment était-il ?"
- "Vieux, cheveux longs et blancs, avec un bouc et une moustache, grand et assez trapu. je vous laisse, j'ai d'autres clients à m'occuper."

Cette description ne m'éclaire pas sur l'identité de cet homme. J'hume le café, exactement ce que j'aime. Il connait mes goûts. Mr. A ? Peut-être. Un nouvel ange gardien ? Probable. Un ennemi ? Je n'en sais foutre rien. Un message étrange est écrit sur le gobelet au lieu de mon nom : "Stars can blow". Je n'aime pas ça. Stars... Starbuck... Odeur bizarre.

Je me lève d'un bond et sort précipitamment. Le souffle de l'explosion me projette violemment contre la Mustang, ma tête heurte la carrosserie, mon épaule également. Je suis désorienté par le choc et la chaleur des flammes envahissant le Starbuck. Un moment surpris, hébété par le spectacle macabre qui se déroule sous mes yeux, mes lèvres se crispent de colère. La salope, ils étaient innocents, mais tu as décidé de les prendre comme de vulgaires pions pour ton jeu. Je sors mon portable.

- "Isaac ? C'est Allan ! Viens vite, Alicia a bien failli m'avoir ! Il y a des morts partout ! ... Oui, elle vient de faire exploser un Starbuck ! Je ne sais pas s'il y a des survivants ! OK je ne bouge pas, j'appelle les pompiers."

Le jeu a commencé de la pire des manières, et elle a bien failli gagner au premier coup. Pourquoi as-tu autant changé ? Pourquoi t'en prendre à eux ?

Je te retrouverai, Alicia. Sois certain que je vais te retrouver.

Montréal, Québec, Canada
6 février 2013, 2h50

Je vois des corps. Des cadavres partout, l'odeur de chair brûlée me monte au cerveau et grave au fer rouge ce souvenir du carnage. J'aurais préféré l'oublier une bonne fois pour toutes. Elle m'a envoyé un message clair, brutal, cruel. Elle n'est définitivement plus celle que j'ai aimé. Elle n'est plus rien d'autre qu'un monstre, une meurtrière et terroriste qu'il faut à tout prix stopper avant que d'autres massacres ne se produisent. Ces cris, ces râles d'agonie, ces visages défigurés et cramoisis me hantent.

Comme autant de coups à donner.
Point Blank. End of the show.

J'ai passé ma colère sur les autres, laissé mes coups pleuvoir sans retenue. Mais ces souvenirs morbides me troublent, et plusieurs fois j'ai failli tomber, et perdre. Ce sentiment d'impuissance brise la carapace que je m'étais forgée, fait bouillir mon sang. Je ne sens plus mes bras, j'ai mal partout, mais j'ai réussi à porter le coup de grâce à mon adversaire. Il est sorti sur une civière, on lève mon bras en signe de victoire, mais je le repousse. Je n'en veux pas. Ce n'est pas moi. Ce n'est pas Alpha.

Je ne suis plus qu'une ombre sans réelle existence. Premier round de son jeu et j'ai pris cher, bien failli y rester. Le coup est dur à encaisser, une plaie s'est ouverte sur mon âme. Je joue à un jeu dangereux avec le Diable et il attend patiemment le jour où je m'agenouillerai devant lui pour le supplier d'abréger mes souffrances.

Va te faire voir ! Tu ne m'auras jamais.

La douche chaude ne fait pas son oeuvre, je reste sali par ces souvenirs macabres. Les blessures du corps se résorbent lentement, mais celles de l'esprit ne guérissent jamais.
Cette mascarade doit cesser.

Montréal, Québec, Canada
6 février 2013, 11h22

Personne ne me remarque au sein de la SoW. Juste un anonyme. Même certains lutteurs ne me prêtent aucune attention. Il est loin le temps de la FWE, où tous avaient sa chance, sa part du gâteau. Certains l'ont bien pris, d'autres ont loupé le coche, mais au moins, ils n'étaient pas ignorés. Même ce type étrange, ce Synn avait du spotlight, son momentum. Peut-être devrais-je me faire vampire ou sauvage, ou encore m'inventer une famille de légende. Ou un clown comme ce pseudo professeur. Etre une bête de foire ou mis sur un piedestal avec son nom doré, ce n'est pas mon style. J'ai l'impression d'être le seul homme normal parmi eux. Pire encore, ils ne respectent pas les champions de fédérations passées ou concurrentes. Ils les dénigrent ou les ignorent.

Ils font de l'ombre, ceux qui n'ont plus rien à prouver. Alicia savait sûrement que j'allais au devant de défaites et d'humiliations, et tout faire pour que je reste en eaux troubles, au fond du gouffre, dans les ténèbres de l'oubli, de l'anonymat. Un no name.

Qu'importe ce qu'ils pensent, ma préoccupation est toute autre. Ils ont vu ce que j'étais capable de faire à New Year's Redemption. Dans une stipulation que je crains, j'ai enfin vaincu. Ma seule victoire, une once de reconnaissance rapidement dissoute dans l'acide corrosif d'une nouvelle défaite et un retour dans les bas-fonds de la SoW.

Peut-être pas, finalement. Une journaliste de la SoW s'approche de moi, sa démarche est aussi claire que son sourire de circonstance, elle vient pour m'interviewer.

Eve Jensen : Bonjour Alpha. Avez-vous quelques minutes à m'accorder ? J'ai quelques questions à vous poser.

J'avais presque oublié ce qu'était une interview. J'acquiesce de la tête.

Eve Jensen : A New Year's Redemption, vous avez remporté une belle victoire face à Doc Hope, alors que personne ne vous donnait favori. Vos impressions ?

Alpha : Un soulagement, Eve, tout simplement. Des désillusions, des doutes se sont envolés lorsque j'ai décroché la sacoche. J'avais besoin de cette victoire pour m'affirmer et revenir dans la course. La SoW est assez simple à comprendre : soit vous êtes un vétéran, un fils de légende ou un connard et vous collectionnez les titleshots, soit vous vous battez vraiment et vous restez en bas de carte. J'étais un champion reconnu, mais deux ans ont passé, et les champions d'autres fédérations ne sont aucunement considérés. Pire encore, la SoW essaie de vous mettre plus bas que terre. Preuve en est la stipulation qui a été choisie pour mon match contre Doc Hope à New Year's Redemption, une stipulation que je déteste et dont je ne suis pas à l'aise. Et vous l'avez bien rappelé, personne ne pensait une seule seconde à une victoire de ma part. Personne. Et pourtant je l'ai fait. J'ai déjoué leurs pronostics.

Eve Jensen : Pourtant, après cela, vous avez encore accusé une défaite face à Philo.

Alpha : Je n'étais pas moi-même, j'avais d'autres préoccupations en tête plutôt que de me concentrer sur le match. Je ne renie rien, c'est bel et bien ma faute, et Philo en a bien profité. Je ne peux blâmer que moi-même. Mais je n'oublie pas. Non je n'oublie pas toutes ces défaites, les noms de ceux qui m'ont vaincu d'une manière ou d'une autre. Savez-vous ce qu'on dit ? La vengeance est un plat qui se mange froid. Autant pour ce qui est de Philo, j'attendrai qu'il se montre disponible pour un match revanche, autant pour Axel Roy, ce sera bien différent.

Eve Jensen : C'est à dire ?

Alpha : Je n'irai pas par quatre chemins, il m'a volé la victoire. C'est d'ailleurs tout ce qu'il à su faire depuis le début de sa carrière à la SoW. Et lorsqu'il doit vraiment se battre, comme dans son match face à Pétale pour le titre SoW, il n'était clairement pas à la hauteur. Oh il peut nous sortir ses cours, son algorithme ou ses probabilités pour essayer de nous prouver par A + B qu'il est le meilleur lutteur de la SoW et qu'il mérite d'être le champion incontesté de la fédération, tout ce qu'il nous prouve est qu'il n'est rien d'autre qu'un charlatan, un homme obligé de se proclamer "notre professeur" pour avoir un minimum d'attention et surtout de personnalité. Preuve en est de son incompétence, le seul élève qu'il a pris sous son aile a été renvoyé afin qu'il puisse se remettre à niveau dans le domaine du français. Prendre pour vérité acquise les bulletins bourrés de fautes de français d'un pseudo professeur n'est pas une très bonne idée. Mais s'il y a une leçon que ce Roy doit apprendre, parmi les nombreuses autres, c'est celle de l'huminité. Et peut importe la longueur du cursus scolaire qu'il lui faudra, je compte bien faire en sorte qu'il assimile une bonne fois pour toute cette leçon.

Eve Jensen : C'est un défi que vous lui lancez ?

Alpha : Non, une promesse. Et croyez-moi, je lui donnerai sa note finale en pleine poitrine.

Point Blank. End of the show.

Eve Jennsen : Bonsoir à tous ! Je suis Eve Jennsen, et j'ai le plaisir de recevoir mon invité du jour : Alpha.

Alpha : Bonsoir.

Eve Jennsen : Allons dans le vif du sujet, à savoir votre agression au cours du PPV Road to Glory. Savez-vous ce qu'il s'est passé ? Y a-t-il de nouvelles informations sur ce méfait ?

Alpha : Non. Rien de nouveau. J'ignore toujours qui m'a lâchement attaqué par derrière, et je n'ai pas pu me défendre. Mon match a été intense, et j'étais encore trop fatigué pour riposter.

Eve Jennsen : Avez-vous tout de même des suspicions à l'égard de quelqu'un en particulier ?

Alpha : Depuis que je suis au Sanctuaire, je ne peux pas dire que je me suis fait vraiment d'ennemis. Tout au plus des adversaires. Non, je ne crois pas que cela soit l'un d'entre eux.

Eve Jennsen : Et concernant cette Alicia qui semb...

Alpha : Je ne veux pas en parler. Elle fait partie de ma vie, mais c'est mon problème, et je résoudrai seul.

Eve Jennsen : Revenons à Road to Glory. Vous avez participé à un match pour devenir le challenger numéro un au titre Hardcore actuellement détenu par Draven. Cela a dû vous faire plaisir d'avoir cette opportunité après des semaines à stagner, voire subir défaite sur défaite.

Alpha : Il suffit d'un match où coule le sang pour être bien vu de la direction... pour un soir. C'est une opportunité comme il en présente rarement, une opportunité que j'ai évidemment prise, même si au final cela a échoué. Rorry a été un adversaire valeureux, mais notre match n'a en fait pas assez captivé. Sinon, nous serions cités dans les bulletins de news de votre confrère Phil Salfino. Mais ce journaliste ne s'intéresse qu'à trois noms : Draven, Pétale et Axel Roy. Pour les deux premiers, il est tout à fait normal qu'il ait l'obligation d'en parler, Draven étant propriétaire de la SoW, Pétale étant la favorite de celui-ci.

Eve Jennsen : Cela n'a rien à voir avec votre série de défaites, pourtant !

Alpha : En partie. Je suis amnésique, et croyez-moi, perdre tout un pan de votre vie est très dur à supporter, même maintenant. C'est comme si tout le monde autour de vous ne sait pas que vous existez. Ils peuvent passer près de vous, vous frôler, ils ne vous verront pas. Ici, à la SoW, vous ne verrez et n'entendrez que trois noms. Et vous ne les entendrez qu'à la SoW, paradoxalement. J'ai fait quelques recherches sur eux, je voulais comprendre pourquoi cette surexposition aux dépends de ceux qui travaillent dur pour tenter de gagner ne serait-ce qu'un peu de reconnaissance. Draven et Pétale ont participé à d'autres fédérations que la SoW. Sans compter l'ancêtre de la SoW, lorsqu'ils ont tenté de percer dans une fédération toute autre, ils n'ont jamais réussi à vraiment atteindre la tête d'affiche, que ce soit à la WWA, à la FWE, la FCW ou encore récemment la WSF. Une seule exception étant la FGB où Draven a dû réellement se battre comme tout novice pour mériter le titre de champion suprême.

Ils aiment l'exposition. Comme tout lutteur rêvant de gloire. Seulement je les soupçonne d'user de leur statut pour occulter l'exposition de tous les autres lutteurs du roster.

Eve Jennsen : En somme, vous êtes jaloux de leur succès.

Alpha : Jaloux n'est pas le terme que j'emploirai. Désabusé serait une meilleure définition. A la FWE, j'ai passé d'excellents moments et j'ai eu une exposition qu'à l'époque je n'aurais jamais cru connaître. Mais pour cela, je me suis battu, et contre des adversaires coriaces. Et si vous me dites que la FWE n'est qu'une petite fed qui n'a pas tenu face à la SoW, alors je vous répondrai que même des "grands noms" comme Pétale Orientale sont sortis de leur précieuse SoW pour combattre à la FWE.

Eve Jennsen : Ne craignez-vous pas les conséquences de tels propos ?

Alpha : Non, et pour une simple raison : je n'ai rien à perdre au vu de mon statut actuel. Je ne suis à la SoW que pour une raison qui m'est propre. L'argent de mon contrat ne sert qu'a subvenir à mes besoins, et rien d'autres, mais j'ai déjà vécu en nomade. L'argent peut se trouver n'importe où. La gloire ? Non, ce n'est pas mon but premier, ce qui ne m'empêche pas de déplorer les problèmes que j'ai cités plus tôt. L'avantage que j'en tire est que je sais à quoi m'attendre lorsque je perds, ce qui ne sera pas le cas de ceux qui tomberont sous l'impact du Point Blank. La mémoire retrouvée sera ma plus grande récompense, le titre le plus important de ma carrière. Le reste est bien fade comparé à cela. Et si une autre opportunité de ceinture se présente à moi ? Je la prendrai, et je la défendrai de mes poings, pour vous montrer à quel point j'ai toujours l'étoffe d'un champion.

Eve Jennsen : J'espère que vous allez réussir dans ce que vous entreprenez. En tout cas, merci d'avoir consacré un peu de votre temps pour répondre à mes questions.

Alpha : Merci à vous.

Eve Jennsen : Puis-je me permettre un conseil ?

Alpha : Lequel ?

Eve Jennsen : Ouvrez-vous un peu plus aux autres. Garder tous vos soucis pour vous n'est jamais bon pour votre moral, vous allez de plus en plus douter de vous. J'ai vu votre prestation générale à la FWE, j'ai vu ce dont vous êtes capable. Mais à cette époque, vous aviez quelque chose qui vous motivait à vous battre en tout temps, peu importe les coups durs. Vous vous releviez toujours. Depuis le jour où vous êtes entré à la SoW, vous avez perdu cette flamme qui vous animait et vous rendait redoutable, mais aussi... vivant. C'est comme si vous étiez déjà mort.

Alpha : Peut-être le suis-je déjà.

Eve Jennsen : N'y a-t-il rien que nous puissions faire pour vous rendre cette envie de vivre ?

Alpha : Un café serait un bon début.

Eve Jennsen : Vous êtes sérieux ?

Alpha : Pourquoi pas ? Quelqu'un m'a dit un jour : "ouvrez-vous un peu plus aux autres". Le faire autour d'un café me parait un bon départ. Qu'en pensez-vous ?

Eve Jennsen : Je pense que nous commencerons votre thérapie demain soir, vers 20h.

Alpha : J'en prends bonne note. A demain alors.

Eve Jennsen : Ne soyez pas en retard ! Je n'aime pas les lapins.

"Trop de fourrure, sûrement", pensai-je, une blague pourrie, pour me détendre.

Les interviews ont toujours été une véritable galère pour moi, appréhendant toujours les questions qui fâchent, ou les questions dont je n'ai aucune réponse, gracieuseté de mon amnésie. Je craignais surtout de mal réagir, et de le regretter plus tard. Je n'avais vraiment pas besoin de ça en ce moment.

C'aurait été Phil Salfino, nul doute qu'à un moment, il se serait pris une droite. Ses questions ont toujours eu le don de toucher là où ça fait mal. Heureusement pour moi, ce n'était pas lui à l'office ce soir-là, mais Eve.

Qu'est-ce qui m'a pris de l'inviter, au juste ? Je n'en sais foutre rien, je suis perdu dans tout cet horrible amalgame qu'est ma vie actuelle. Cette femme vient d'ouvrir la porte d'une constatation effarante. J'étais devenu un mur grisonnant, fade et froid. Elle a raison, j'ai perdu peu à peu goût à la vie, ce n'était même plus une question de reconnaissance. mais bel et bien une question de vie et de mort.

Je ne la quitte pas des yeux alors qu'elle s'éloigne, documents sous le bras, d'une démarche aisée et déterminée. Ses mots résonnent encore dans mon esprit embrumé par le doute.

Je fais peut-être une énorme erreur, mais Eve est peut-être mon garde-fou pour me maintenir en vie.

Le destin s'amuse avec nos fils, il les entrecroise, les noue pour mieux les délier d'un coup sec. Maintes fois, nous avons repoussé ce rendez-vous, nos emplois du temps ne coîncidaient pas. Après l'accession du chouchou de la SoW, Draven, au titre de Grand Slam champion face à un adversaire qui aurait pourtant mérité cent fois plus la ceinture et la visibilité d'un grand nom. A voir les coulisses, l'organisation de la compagnie, je me demande si ce n'est pas tout simplement un lent poison qu'Alicia m'a inoculé après m'avoir obligé à venir ici. Je végète dans ce flot de favoritisme, je ne trouve pas ce plaisir de combattre que j'avais du temps de la FWE. Un plaisir partagé d'ailleurs. Mais ici, dans le Sanctuaire, un sentiment désabusé, fade, sans saveur. Je n'étais pas dans le match, et je l'ai perdu rapidement au profit du mouton noir. Cinq minutes seulement dans un pay-per-view, ce n'était pas moi, pas ce Alpha. Juste un de ces gars que l'on place en bas de carte ou simplement pour faire bien voir le lutteur adverse dans un semblant de match.

Je pose mon regard sur la mallette. A y réfléchir, je ne sais plus comment j'ai pu réussir à remporter ce match, à acquérir ce contrat. Impression de grande désillusion, m'ont-ils laissé gagner parce que je suis le seul choix qu'il leur restait ? Long soupir. Je suis devenu bien vieux, bien rouillé. mes poings et mon corps ressentent encore la brûlure de la douleur, l'amer goût de la défaite. Ma première dans le fight club. Je ne sais pas comment j'ai pu me laisser déborder ainsi, mais mon adversaire a clairement et facilement disposé de moi. Je ne lui ai trouvé aucun point faible, il semblait être un prédateur combattant par faim, l'instinct le poussant à tourner autour de sa proie et à frapper au bon moment. Je n'ai rien vu venir. Et lorsque la cloche sonne la fin, le couperet tombe, je retombe dans l'anonymat, épuisé, meurtri, délaissé. En un soir, je n'étais plus rien.

Je regarde une dernière fois la mallette. Je sais ce qui me reste à faire. Ma dernière occasion, ma dernière carte à jouer.


Eve Jennsen : Tu plaisantes, j'espère !

Faut croire que non.

Eve est quelqu'un de sensé et posé. Je vois en elle une part d'Alicia que j'aimais, celle perdue à jamais. Mon café est encore tiède, mais je ne ressens plus son goût très corsé. J'étais à moitié ailleurs, et c'est dans des mots lâchés d'une nonchalance lointaine que je lui ai fait part de ma décision.

Je secoue la tête

Eve Jennsen : Je ne comprends pas pourquoi tu veux tout abandonner.

Alpha : Au contraire, je tente le tout pour le tout.

Eve Jennsen : Excuse-moi, mais tout ce que tu fais, c'est miser ta vie sur le mauvais cheval.

Alpha : Hum ?

Eve Jennsen : Ce n'est pas ce que je voulais dire. Je trouve que tu t'y prends trop tôt. Attends au moins de bien te poser. Ce n'est qu'un accident de parcours, un contretemps. Ton chemin continue de filer droit. Pourquoi te hâter ? Pourquoi tu abandonnes ?

Alpha : Je me fais vieux.

Eve Jennsen : Foutaises !

Comment lui dire ? Je n'ai aucun souvenir de ma vie passée, tout ce que je peux me rappeler, c'est une femme tuant toute personne autour de moi pour attirer mon attention, et croyant détenir la clé de ma mémoire. Sans parler de l'explosion, de ces corps calcinés, des sirènes. Je ne parviens pas à me débarrasser de ces images atroces.

Alpha : Tu n'as pas vu ce que j'ai vécu. Et j'ai laissé passer tant d'occasions. Je dois essayer. Si je perds, alors je n'ai plus de raisons de continuer car j'aurais atteint ma limite. C'est aussi simple que cela. Une opportunité se présente grâce à la mallette, et je ne suis pas assez fourbe pour attendre que le champion soit mal en point pour casher. Je vaux mieux que cela. Je vais utiliser ma mallette à Blood of Champions. Si je gagne, alors j'aurai prouvé que le sacre de Draven était du pur flan. Mais si je perds, alors je mettrai ma carrière entre ses mains et il déciderai de ce qu'il en fera.

Eve Jennsen : Je reste persuadée que c'est une très mauvaise idée. La SoW n'est pas la FWE et je connais ses directeurs. Ils veulent de l'audimat, ils misent sur les valeurs sûres en les mettant en avant. Il faut leur montrer que tu peux, toi aussi, faire vendre. Il ne s'agit pas seulement d'honneur ou de gloire, mais aussi de business et d'argent. C'est un tout et tu ne peux pas négliger cette part, Allan, je regrette.

Alpha : Ce match servira d'autant plus de test pour prouver mes dires ou les tiens.

Eve Jennsen : Tu ne changeras pas d'avis, je suppose...

Alpha : Non.

Ce léger soupir en dit long sur le dépit que ressent Eve en ce moment. Je sais qu'elle croit en moi, elle sait ce que je vaux, enfin plutôt ce que je valais à la FWE. Mais le passé reste le passé, nous ne pouvons plus revenir en arrière, n'est-ce pas ?

Eve Jennsen : Je transmettrai ta décision à la direction de la SoW, Allan. J'espère sincèrement que tu n'auras pas à la regretter.

Alpha : Aucune chance. Draven n'a pas la taille suffisante pour porter deux grosses ceintures.

Moindre réconfort, je lui arrache un demi-sourire. Demi-échec, elle reste inquiète pour moi. Je la raccompagne chez elle, non sans avoir ce ressenti préoccupant, cette sensation d'être constamment épié. J'ai beau me retourner, personne. Pourtant, je sais qu'elle est là.

Alicia, je t'interdis de la toucher.

Eve Jennsen : Bonsoir à tous les fans de la SoW. Mon invité de ce soir est le détenteur de la mallette contenant un titleshot pour le titre Intercontinental : Alpha !

Alpha : Bonsoir, Eve.

Elle reste professionnelle malgré notre amitié naissante. Savoir détacher vie privée et vie professionnelle, c'est ce que j'admire chez elle. Un léger sourire se dessine tout de même dans le lissé de son visage.

Eve Jennsen : Vendredi dernier, à Blast!, vosu avez marqué une victoire décisive contre Edward Blackbuerry, confortant votre statut de détenteur d'un titleshot. Pourtant, aucune annonce officielle n'a été faite suite à votre annonce de casher votre mallette pour un match pour le titre Intercontinental à Blood of Champions face à Draven. Que répondez-vous à cela ?

Alpha : Cette victoire sur Blackbuerry devrait ouvrir les yeux de la direction sur mes réelles capacités, sur ce que je vaux vraiment. Au lieu de cela, j'ai surtout l'impression que cette même direction veut protéger ses petits chouchous, notamment son tout nouveau "Grand Slam" champion Draven, préférant autoriser de nouveau Charlie Green à concourrir pour ce titre avec l'aide de cet autre lutteur, Mustaine. Cette situation arrange beaucoup Draven, evidemment, qui se contente d'un discours archi-éculé du "je suis le meilleur". Mais je vais vous dire une chose, Charlie et Mustaine : prenez un ticket et attendez votre tour. Vous deux n'avez rien fait pour mériter une chance au titre Intercontinental, vous essayez de vous imposer en attaquant systématiquement Draven afin de l'affaiblir. Pour mon match contre Draven à Blood of Champions, car OUI, ce match aura bien lieu comme le stipule le contrat que contient cette mallette, je veux combattre un champion à 100 % de sa forme, pas une loque humaine préalablement tabassée de partout par deux gars dénués de courage pour l'attaquer à deux contre un. Et si jamais vous recommencez votre petit manège, alors je me mêlerai de vos affaires et me mettrai en travers de votre chemin à chaque fois que vous approchez de Draven.

Car ce que je veux le plus, c'est un match à Blood of Champion qui restera dans les mémoires, un match cinq étoiles avec un enjeu important : la crédibilité d'un "Grand Slam" champion et le titre Intercontinental pour Draven, et la mise en jeu de ma carrière à la SoW pour moi. Et rien ni personne ne viendra entacher cet évènement, et surtout pas vous deux.

Eve Jennsen : Qu'allez-vous donc faire concernant Draven ?

Alpha : C'est simple, j'invite Draven à signer officiellement un contrat pour un match de championnat Intercontinental à Blood of Champion entre lui et moi, et à le faire dans la semaine. En tant que champion incontesté, tu ne peux refuser le challenge. A moins que tu te plais dans ce cocon protecteur qu'a forgé pour toi la direction, afin de garder pour toi les titres sans combattre. Est-ce vraiment ce que tu veux ? Devenir un champion qu'on considèrera comme un bouffon surprotégé et surexposé ? De voir tes règnes n'être que du flan construit par la compagnie et non par toi-même, par tes poings, ta sueur et ton sang ? Nous ne sommes jamais rencontrés sur un ring, Draven, mais crois-moi : ce jour viendra, et ce jour-là tu devras sortir le meilleur de toi-même pour me battre.

Eve Jennsen : Voilà qui a le mérite d'être clair, en espérant que la direction et le champion Intercontinental y répondra favorablement. C'était Eve Jennsen avec Alpha, je vous dis à la prochaine !

Clap de fin, caméra éteinte, nous pouvons respirer, revenir à notre vie privée. Je la vois souffler de soulagement mais son regard trahit une certaine inquiétude.

Alpha : Quelque chose te tracasse.

Eve Jennsen : Je reste persuadée que tu fais une erreur en voulant jouer ton va-tout. C'est une décision trop précipitée, tu n'as pas réfléchi aux conséquences.

Alpha : Les conséquences restent minimes. Ce n'est qu'une fin de carrière. Ma vie, elle, continue.

Eve Jennsen : Ne t'attaches-tu pas à tout ce que tu crées ?

Alpha : Non, pas tant que ma mémoire me reviendra, tout ce que je peux faire me semble ancré dans une vie qui n'est pas la mienne.

Eve Jennsen : Au contraire, Allan. Tout ce que tu as fait jusqu'à présent, à partir du moment où tu t'es réveillé, c'est toi, cela fait partie de toi. Peu importe qui tu étais avant que tu ne deviennes amnésique, j'apprécie l'homme qui est devant moi en ce moment même.

Alpha : Pourquoi ?

Eve Jennsen : Parce que tu es sincère dans tes propos, dans ton comportement. Tu es quelqu'un de droit et d'honnête. Et tu te bats pour tes convictions. C'est toi, là, dans ton coeur à l'heure actuelle. Et ce "toi" actuel est intéressant et agréable.

Alpha : Tu n'as pas peur de ce que je peux être réellement ?

Eve Jennsen : J'en prends le risque. Et même cette Alicia dont tu m'as tant parlé ne me fera changer d'avis.

Alpha : Tout comme moi quand je décide de mettre en jeu ma carrière.

Eve Jennsen : Tu es aussi borné qu'une mule. Ca c'est un défaut dont je me passerai bien.

Alpha : Tu t'y feras.

Eve Jennsen : Moui, je n'ai pas vraiment le choix. Je dois te laisser, j'ai du travail. A ce soir pour un café ?

Alpha : OK.

"Ce sont les actes qui définissent un homme, pas son nom"

Je ressasse cete phrase tirée de je ne sais où, en répercussion des paroles de la jeune femme. Je la vois s'éloigner peu à peu, je m'apprête à repartir de mon côté quand une voix arrive brusquement à mes oreilles, me faisant stopper net.

??? : Ce jeu devient très intéressant, Allan.

Je ne voulais pas y croire, mais c'est bien elle, je reconnaîtrai sa voix entre mille. Alicia. Mes poigs se serrent, les souvenirs de meurtres et de corps calcinés reviennent dans ma tête en blocs compacts, douloureux, tortueux.

Alpha : T'as un beau culot de venir jusqu'ici pour me narguer.

Alicia : Je voulais juste voir de plus près ta nouvelle conquête.

Alpha : Il n'y a rien entre nous, monstre.

Alicia : A d'autres ! Je connais ce regard que tu lui lances. Tu avais le même envers moi, du temps où tu m'aimais.

Alpha : Oh crois bien que je le regrette. Ce que tu as fait...

Alicia : ... est horrible ? Terrifiant ? Quoi, Allan ? Je suis ce que je suis, je sais ce que je suis ! Je suis redevenu moi-même ! J'ai repris ce qu'on m'a volé depuis tout ce temps et maintenant je suis libre ! LIBRE ! Toi et moi, nous sommes semblables, Allan. Tu ne veux pas le reconnaître, mais je sais qui se cache en toi, je sais qui tu es vraiment.

Alpha : Tu n'en sais rien du tout ! Tout ce que tu veux, c'est que je devienne comme toi, un tueur, un monstre. Quitte à choisir, je préfère je pas me rappeler mon passé.

Alicia : Le passé te rattrapera tôt ou tard, que tu le veuilles ou non. C'est gravé dans ton corps, dans ta peau. Laisse-moi te libérer, Allan, laisse-moi te prendre à nouveau dans mes bras et parcourons le même chemin, main dans la main.

Elle m'enlace, ses yeux fixés sur moi en un regard tentant de m'envouter. Le passé, elle et moi, je revois tout ce qu'on a partagé depuis notre amnésie. L'attentat à la bombe... Je la repousse brusquement alors qu'elle tente de m'embrasser.

Alpha : Non !

Son regard, le sourire qu'elle m'adresse, me donne des frissons de dégoût.

Alicia : Le jeu continue, Allan. Tôt ou tard, tu me reviendras.

Dans tes rêves, ordure.

Une vidéo vient d'être mise en ligne sur la chaine Youtube de la SoW. Alpha est en gros plan, face caméra.

Draven, nous allons enfin nous affronter ce jeudi, dans ce qui aurait dû être un match pour le titre Intercontinental à Blood of Champions. Mais les circonstances et surtout la Direction en a décidé autrement. Elle a préféré nous mettre deux autres lutteurs entre nous, deux lutteurs qui veulent ta peau, et surtout souhaitent ton ultime humiliation devant des millions de fans de la SoW. Je ne veux pas de cela, je veux un affrontement pour le titre, face à face, toi et moi. J'ai mis ma carrière en jeu pour ce face à face, mais cette décision d'ajouter Mustaine et Charlie Green va à l'encontre de ce que je désirais.

Je me sens piégé, lésé, trahi. Mais cela m'a apporté une autre preuve de leur incompétence. Me mettre dans une sorte de double match, pour une ceinture que je ne désire pas le moins du monde. Le titre Hardcore, je ne le mérite pas, je ne suis pas taillé pour cette division. Trop fier, trop droit, trop honnête. Je laisse cela aux types sournois et mauvais comme El Verdugo, Mustaine ou Charlie Green. Ce que je sais en revanche, c'est que tu auras beau clamer être un vampire, être immortel, invincible, infatigable, tout ce que les contes et légendes peuvent fabuler concernant le folklore vampirique, tu restes un homme. Et je peux battre cet homme.

Non. Je suis certain de pouvoir te battre.

Ce match que nous aurons tous les deux sera un premier test, un bon moyen de se jauger, de juger les capacités de chacun. Que je gagne ou perde ce combat n'est pas important. Ce qui compte en revanche, c'est ce que j'en tirerai comme analyse pour notre prochaine rencontre. Chacun de tes mouvements, chaque comportement, chaque expression que tu as pu avoir sur ce match, je m'en servirai contre toi. Que je gagne ou que je perde ce match, j'en ressortirai plus fort pour notre prochaine rencontre.

Et ce jour-là, je te battrai.

Le titre Intercontinental que tu portes n'est pas le prix de la victoire. Elle a même moins de valeur que la véritable récompense de ce match à Blood of Champions : celle de te battre. Je veux que tu me prouves que tous ces titres que tu as remportés à la SoW vient bien de ton seul fait, et non d'une quelconque entente avec la Direction dont tu fais partie. Je veux que tu me prouves que ce palmarès que tu vantes est vraiment mérité, que ta réputation est véridique et non gonflée médiatiquement. Je veux que dans ce match, la vérité ressort sans masque.

Montre-moi ce que Draven a véritablement dans le sang.

Premier rendez-vous à Blast! ce soir. Ne sois pas en retard. Ne me déçois pas.

Une nouvelle video sur le compte YouTube de Alpha vient d'être mise en ligne, toujours avec le principal concerné en gros plan.

Je n'ai rien pu faire. Mais surtout, je n'ai rien pu prouver.
Ni ma force, ni ma volonté, ni même ma faiblesse.

Je n'ai pu démontrer que Draven ne méritait pas ces ceintures, ni cette surexposition. Je n'ai pas non plus montré qu'il les méritait. Car la Direction est allé à l'encontre de tout ce que je souhaitais. Je voulais cet affrontement face à Draven, seul, face à face pour le titre Intercontinental. J'y ai mis ma carrière en jeu, dans les mains de Draven s'il en serait le vainqueur. Ce match, ce duel, n'aura jamais lieu, car deux lutteurs ont décidé de s'incruster, appuyés par la Direction. Mes paroles n'ont pas été entendues, et à cause de cela, ma promesse n'a pas pu être tenu. Je suis donc encore sous contrat malgré cette double défaite.

Un goût amer, un vide non comblé.

Au fond de toi, Draven, tu voulais ce match, ce duel. Tu voulais, toi aussi, montrer que tout ce qui t'entoure est vrai, toutes ces ceintures gagnées au cours de ton palmarès, tu les as méritées. Au lieu de cela, tu passes pour un homme normal qui ne peut défendre ses deux ceintures dans deux matchs simultanés. En fait, tu viens de nous prouver que tu es rien de plus qu'un homme. Un homme comme moi, avec ses qualités, mais aussi ses faiblesses. Non, tu n'es pas surhumain. Es-tu vraiment un vampire ?

Ton passé, et celui de la SoW, ressurgit en la personne de Sex Bomb. Savoure alors ta chance d'en avoir un, je ne peux prétendre pouvoir en posséder un et le vivre. Mais je sais ce que je veux. Un match, contre toi, un contre un. Je réitère également mon souhait, à savoir mettre ma carrière en jeu. Quitte à ce qu'en contrepartie je concourre pour ton titre Hardcore. J'ai déjà prouvé que je pouvais surmonter des stipulations qui m'étaient défavorables, je peux encore réitérer cet exploit.

La balle est dans ton camp.

Montréal, Québec, Canada
Lundi 13 mai 2013, 1h52

Bonne idée ou mauvaise blague ? A vrai dire, il s'en fichait éperdument.

La nuit fut drapé de son manteau noir, cachant son visage rocailleux et indescriptible. L'amnésique attendit patiemment, adossé contre un mur, le bras gauche portant un objet assez encombrant dissimulé à l'intérieur d'un sac en toile. Plongées dans la pénombre, les petites ruelles que dispose la grande ville québécoise de Montréal offraient un endroit idéal pour des rencontres en toute discrétion. Il était désormais évident que l'homme avait rendez-vous avec quelqu'un.

Immobile, tête baissée, regard absent, il tentait de ressasser les dernières semaines de sa vie, et surtout repassait en boucle ces derniers jours, ce soir-là où il lui manquait quelques minutes, comme un trou noir dans sa mémoire. Un replay lui avait permis de voir ce manque par un autre oeil. Ces quelques minutes qui avaient détruit en un instant toute valeur qu'aurait pu détenir son ascension. Lésé, pourri, trahi, nombreux étaient les adjectifs qui lui étaient passés par la tête pour qualifier cet acte imprévu, et surtout non voulu.

Des pas au loin. Quelqu'un approche. Mais le bruit de ces pas résonnaient bizarrement, comme des claquements secs. Des talons aiguilles. Ce n'était visiblement pas la personne qu'il attendait, bien au contraire.

Alpha : "Comment m'as-tu trouvé ?"

Eve Jennsen : "Je suis journaliste, tu te rappelles ?"

Alpha : "Evidemment."

Elle semblait peu encline à sourire, et son regard en disait long sur ce qu'elle avait sur le coeur vis-à-vis de l'amnésique.

Eve Jennsen : "Nous devions boire un café ensemble après le show. Mais tu t'es éclipsé tout de suite après être sorti de l'arène. Je t'ai cherché partout, et ne te trouvant pas, j'ai utilisé mes sources pour te repérer."

Il ne répondit pas. Il n'y avait rien à dire de toute façon, c'était un fait, un foutu fait. Et la journaliste en comprit peu à peu la raison. Elle se contenta de se placer juste à côté de lui, enroulant son bras sous celui libre de l'homme et posa sa tête sur son épaule en poussant un long soupir.

Eve Jennsen : "Tu sais, Allan, le destin nous joue parfois des tours, et nous n'avons pas le choix que d'accepter les évènements qu'il provoque et d'aller de ..."

Alpha : "Le voilà."

Eve Jennsen : "Hein ?"

Il l'avait bien perçue, cette ombre s'avançant d'un pas silencieux en leur direction alors que deux yeux rouges commencèrent à se dessiner, puis une grande carrure musclé, plus il avança plus on voyait qui il était, les bottes, les pantalons de cuir, la chaîne qui pend sur le côté droit de sa cuisse, son manteau de cuir et son casque de moto d'une main, il s'agit bel et bien de Draven.

Eve regarde le vampire arriver et se retourner vers Alpha.

Eve Jennsen: Qu'est-ce qu'il fait là lui?

Alpha ne répondit pas, et Draven arriva et donna la main à Alpha, que ce dernier serra. Eve ne semblait pas comprendre ce qui venait de se passer, et l'amnésique ne lui en voulait pas. Malgré leurs rivalité, leurs joutes verbales et leurs combats, il restait entre eux une certaine forme de respect mutuel.

Draven: Donc tu voulais me voir? J'ai été très surpris en premier lieu d'avoir ton appel mais tu m'as dis que c'est important alors je suis venu! Qu'est-ce qu'il y a?

L'actuel champion Hardcore ne répondit pas tout de suite. Il glissa tout d'abord un mot à la journaliste.

Alpha : "C'est moi qui l'ai fait venir."

Eve Jennsen : "J'ai peur de trop bien comprendre la raison de ton entrevue avec Draven."

Pour toute réponse, l'homme lui adressa un sourire en coin, et lui prit un instant la main, la serrant doucement. Puis il s'écarta d'elle pour se poster face au vampire.

Alpha : "Oui, je t'ai demandé de venir. Et je pense que tu sais pourquoi. L'issue de notre dernier match, ce n'est absolument pas ce que je souhaitais. Je voulais un match entre nous deux, un vrai match, un match à l'issue importante. Plusieurs fois j'ai insisté sur ce point, je voulais savoir si je pouvais te battre à la loyale, sans interférence extérieure, juste entre toi et moi. J'y ai mis ma carrière en jeu pour cela. Et cet homme, ce Sex Bomb, a réduit à néant ce match, il l'a truqué à mes dépens. A NOS dépens."

Il marqua une brève pause, le temps de dévoiler l'objet contenu dans ce sac en toile. La ceinture Hardcore de la SoW. Et l'homme la tendit vers le vampire, une invitation à la prendre.

Alpha : "Je ne mérite pas ce titre. Pas comme ça. Si je dois gagner ce titre, ce sera dans un match où il n'y aura que toi et moi, personne d'autre."

Le vampire regarde le titre Hardcore, le nom "ALPHA" gravé en argent y est inscrit. Il n'y touche pas et la regarde avec un sourire avant de faire face à Alpha.

Draven: Es-tu bien certain? Je sais que tu n'es pas un homme hardcore, tout comme moi, peut-être aurais-je gagné si Sex Bomb ne serait pas intervenu, mais peut-être que non, peut-être aurais-tu eu le temps de te relever et me battre, malheureusement on ne le saura jamais.

Ce que tu me proposes, n'importe qui d'autre je dirais probablement un truc du genre: "T'es encore plus con que je le pensais", mais toi...tu vas trouver ça drôle venant de moi, mais je comprends ce que tu veux dire. Oui, je comprends, parce que j'ai du respect pour toi, pour ce que tu as fais, je sais que tu es amnésique, que non seulement ce n'est pas facile mais que tu te bas, pour plusieurs choses en même temps et je n'ai rien d'autre que du respect pour toi.

Il croise les bras et regarde le Hardcore Championship.

Draven: Ce titre... pour moi, c'est la ceinture la plus importante que j'ai eu de ma vie. J'ai gagné beaucoup de championships, tous ont une saveur différente, mais le Hardcore....c'est....moi, dans un sens.

Il sourit à Alpha puis caresse la ceinture du bout des doigts.

Draven: Et à quoi ça m'engage de reprendre cette ceinture comme ça? De quel droit pourrais-je la prendre? Tu ne fais pas ça simplement pour remettre le titre que tu crois ne pas avoir gagné n'est-ce pas? Qu'as-tu en tête, Alpha?

Le visage aussi impassible qu'une pierre blanche, Alpha lui répondit du tac au tac.

Alpha: Rien sinon la volonté de montrer à toute la SoW que je peux te battre sans aucune aide. Que je sois pas un figurant, que je montre à tous qu'Alpha est bien un lutteur, un ancien champion, qu'il n'a pas fait tout cela pour rien. La règle du 24/7 est toujours en cours, tu as donc tout à fait le droit de reprendre cette ceinture. Eve peut même en être témoin à défaut d'arbitre."

Eve Jennsen : "Allan, je..."

Alpha: C'est ce que je veux, Eve. Je ne serai pas moi-même si je gardais cette ceinture comme si de rien n'était. J'irai jusqu'au bout peu importe les obstacles. Et pour te répondre, Draven, reprendre cette ceinture et redevenir le champion sera un beau pied de nez à ton cher ami Sex Bomb. Il réfléchira à deux fois avant de vouloir intervenir. Et si jamais il recommence, alors nous serons deux à se dresser devant lui."

L'amnésique lui tend à nouveau la ceinture, avec insistance, sous l'oeil interrogateur de la journaliste.

Le vampire sourit à la dernière phrase d'Alpha et prend la ceinture, il regarde le plaque centrale, et il la place sur son épaule. Il regarde ensuite Alpha droit dans les yeux.

Draven: J'aime ta façon de penser, et oui, Bomb devra y repenser deux fois, car on sera deux contre lui, ensemble on peut le détruire, et tu sais quoi? Lorsque ce sera fini, je veux un match contre toi pour ce titre, je veux te donner la chance de pouvoir me montrer tout ce que tu sais faire, juste toi et moi, homme à homme pour ce titre, et je serais fier si tu réussi à me battre clean sans rien, et c'est pourquoi je fais la promesse de rester champion tant et aussi longtemps que je ne t'ai pas donné ce match. Sur l'honneur je te donne ma parole!

Il tend la main à l'amnésique.

Draven: Battons Sex Bomb en premier, et ensuite, anytime, anywhere you want, Draven Vs. Alpha dans le match que tu veux!

Eve ne prononça pas un mot, mais son regard se teintait d'un voile, un mélange d'inquiétude et de contentement. Inquiétude pour Alpha qui continue d'arpenter le chemin du Hardcore, domaine dont il est généralement faible, et sa vieillesse n'arrange pas les choses. Inquiète de penser qu' l'amnésique puisse ne pas se sortir de ses prochaines confrontations en un seul morceau. Mais fière. Oui fière de voir cette profonde détermination, cette droiture inébranlable en lui. Tout ce qui construit son identité, du moins sa nouvelle identité. Il est Alpha, un vrai chevalier au code de l'honneur bâti sur le plus dur des ciments.

Alpha, quant à lui, n'hésite pas une seconde et empoigne la main du vampire.

Alpha: Marché conclu... champion.

Il se tourna vers la journaliste qui lui adressa un léger sourire résigné. Elle savait ce qu'elle devait faire désormais.

Eve Jennsen : Je m'occupe d'en informer la direction. En espérant qu'elle accepte le deal.

C'est hélas le seul obstacle - de taille - qui pouvait nuire à cette entente cordiale entre deux rivaux. Mais il y croyait. Peut-être par naïveté. Mais il voyais pour la première fois son chemin tracé. Il se tourna une dernière fois vers le vampire.

Alpha : Rendez-vous vendredi, à Blast!

Le vampire sourit.

Draven: Avec grand plaisir mon cher Alpha!

Le désormais nouveau champion Hardcore fit un geste de la tête vers Eve en guise d'au-revoir et finit par s'éloigner dans la pénombre, laissant l'amnésique et la journaliste seuls. Celle-ci enroule à nouveau son bras autour du sien.

Eve Jennsen : Il se fait tard. Je t'invite à dormir chez moi cette nuit.

Alpha : Le canapé est confortable ?

Eve Jennsen : J'ai surtout une chambre d'ami, banane ! Et n'oublie pas notre rendez-vous que tu as manqué.

Alpha : Si tu m'offres un bon café, j'accepte l'invitation.

Un regard échangé, un sourire, ils semblaient tomber d'accord sur ce point. Ensemble, ils partirent à leur tour.

Montréal, Quebec, Canada
Jeudi 4 juillet, 11h21

Le vrombissement du moteur de la Mustang m'a toujours relaxé. Rouler à vive allure, faire rugir les chevaux, cheveux au vent me permet d'oublier tous mes tracas, mais aussi de pouvoir bouger ma vieille carcasse. L'oisiveté n'est pas pour moi, il me fallait sortir et non rester cloîtré dans la pièce qui me sert de chambre et de salon.

Mais surtout, il fallait que je retrouve mon calme. Car j'ai tout perdu, ou presque.

Le travail tout d'abord. Je ne suis pas encore licencié, mais j'ai plus pris part à un vrai match à enjeu depuis bien longtemps. Mes apparitions deviennent plus sporadiques, aucun schéma, aucun suivi. Tombé dans l'oubli. Ma requête est tombée à l'eau après avoir longtemps été dénigrée par la Direction. Je n'ai plus vraiment de but que celui de toucher l'argent de ma paie, et c'est tout.

Je n'ai plus qu'un petit endroit pour vivre, pratiquement un squat dans un entrepôt désaffecté. J'ai pu aménager une pièce pour y dormir. Rien d'autre, mis à part la Mustang, seul vestige d'un passé luttesque autrefois grand.

Mais même là, le sort s'acharne sur moi. Je n'ai pu voir qu'au tout dernier moment une roquette exploser juste devant, m'obligeant à un braquage soudain pour éviter le cratère fumant. Trop tard cependant pour en reprendre le contrôle, la Mustang filant droit au ravin. J'ai pu en sortir in extremis, projeté à pleine vitesse alors que le bolide dévale la pente abrupte pour s'encastrer lourdement contre un arbre, explosant peu après. J'ai dû mal me réceptionner, une douleur survient au niveau des côtes. Rien de bien grave, une fêlure, mais la mort n'a pas été loin cette fois. je n'ai pu découvrir l'auteur de ce tir volontaire, mais je me doute bien de son identité.

Ainsi, elle n'a pas abandonné son jeu.

Je n'ai plus qu'une chose à faire, sortir mon portable et espérer que quelqu'un me réponde.

Alpha : "Eve ? C'est Allan. Il faut que tu viennes me chercher, j'ai eu un accident... Non je n'ai rien, mais je n'en dirai pas autant de ma voirure... OK je t'attends."

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Montréal, Quebec, Canada
Jeudi 4 juillet, 11h21

J'ai toujours détesté les hôpitaux. Perte de temps, surtout que je n'avais qu'une égratignure. Mais Eve en a décidé autrement. Je la comprends, mais je me sentais bien, même avec une côte fêlée. Le médecin m'a prescrit dix jours d'arrêt, beaucoup trop à mon goût, m'obligeant à limiter mes activités.

En fait, à part lutter, je ne sais pas faire grand chose d'autre.

Eve : "Non, tu ne lutteras pas cette semaine ! Ni la semaine prochaine d'ailleurs."

Alpha : "J'ai trop tardé, il me faut me reprendre en main, et je ne compte pas resté cloué au lit."

Eve : "Et donc tu veux aggraver ton cas en luttant blessé ? Tu veux que ton arrêt de quelques jours se transforme en arrêt de quelques mois ? Voire d'une fin de carrière ?"

Un point pour la demoiselle. Ca laisse à réfléchir.

Alpha : "En attendant, certains profitent un peu trop de mon absence..."

Je n'en ajoute pas plus, pas besoin au vu du regard que je lance sur la journaliste. Celle-ci a très bien compris l'allusion et lâche un soupir avant de m'adresser un sourire.

Eve : "Serais-tu jaloux ?"

Alpha : "Jaloux non. Inquiet surtout de voir que tu aies accepté un restaurant avec un mec qui se fait appeler Sex Bomb."

Eve : "Je pense être suffisamment grande pour savoir le repousser, si jamais j'en éprouvais le besoin. Après tout... nous ne sommes pas encore ensemble."

Un autre point pour la demoiselle. Cependant, ces derniers mots, murmurés à son oreille, cachent une invitation. Ou pas. Je verrai bien, j'ai toute la nuit cloué au lit dans cette chambre d'hôpital pour y réfléchir.