La caméra s’engouffre dans une maison appartenant à des gens de la classe moyenne. À l’intérieur, tout est parfaitement propre, bien placé. On croirait à peine que des gens vivent là. C’est qu’une femme s’échine à tout faire briller toute la journée. C’est là sa seule occupation; tenir la maison. Elle doit faire le ménage, la lessive, le repassage, la nourriture, et attendre. Pas de loisirs, pas de plaisirs, pas de repos. La jeune femme aux cheveux blonds se trouve à la cuisine, où le repas est déjà au four. Elle porte une chemise en jeans trop grande, un short rouge et ses cheveux sont retenus par un foulard de la même couleur. Ses vêtements sont usés, et ses manches sont roulées afin de ne pas tremper dans l’eau du seau posé à côté d’elle alors qu’elle frotte le comme une damnée. Elle relève les yeux une fraction de seconde, afin de vérifier l’heure. Il doit rentrer bientôt. Elle s’empresse de finir de nettoyer le sol. Les fenêtres grandes ouvertes aident au séchage, laissant la petite brise qui souffle dehors pénétrer et aérer les vapeurs de produits ménagers.
Elle en a tellement utilisé que l’arôme de la nourriture en train de cuire ne réussit pas à écraser celle de la propreté exagérée. Elle a à peine le temps de regarder les carreaux propres que la porte s’ouvre. Des pas lourds viennent jusqu’aux oreilles de la jeune femme, qui se lave rapidement les mains et marche avec précautions en direction du réfrigérateur pour en tirer une bière. Elle l’entend retirer ses bottes de travail et les lancer dans un coin. Sûrement sont-elles pleines de boue, comme toujours. Elle suit des yeux les pas lourds de son mari de l’autre côté du mur. Il va directement au salon, où il se laisse choir dans son fauteuil préféré. Il s’empare de la télécommande, allume le téléviseur, et repose la télécommande sur la table à côté de lui. Elle en a profité pour le rejoindre dans l’autre pièce. Elle pose la bière juste à temps pour qu’il la prenne sans rien dire. Il l’ouvre et s’en descend la moitié en une bonne traite, avant de laisser aller un rot sonore. Sans la regarder il lui dit qu’il prendra son repas au salon.
Elle baisse les yeux et retourne à la cuisine, où elle prend les mitaines pour sortir la nourriture du four. Elle prend une assiette, vérifie qu’elle soit bien propre, puis elle lui sert une bonne portion. La nervosité la fait trembler, et le service s’en ressent. La jeune femme essuie les traces qu’elle a faites sur le bord de l’assiette, et marche lentement, couverts en main, afin de lui apporter son souper. Elle pose le tout sur la petite table qu’il a approchée afin de manger, puis elle retourne à la cuisine afin de lui prendre une autre bière, la première étant déjà terminée. Pendant qu’il mange, elle s’installe sur une chaise dans un coin retiré du salon. Les mains sur les genoux, les fesses au bord de son siège, prête à se lever au moindre signe d’insatisfaction ou de besoin. Les bras musclés et tatoués de son mari s’affairent à engloutir toute la nourriture qu’elle lui a apportée. Ses énormes mains serrant fermement ses ustensiles, il finit son assiette dans le temps de le dire et repousse la petite table, signalant qu’il a terminé.
Nerveusement, elle reprend l’assiette vide ainsi que les ustensiles, et elle retourne à la cuisine. En voulant faire vite, elle glisse sur le plancher encore humide et fait tomber l’assiette, qui se fracasse au sol. Elle tend l’oreille attentivement, afin de s’assurer qu’il n’a rien entendu. Comme elle n’entend rien d’autre que la télévision, elle soupire en silence et commence à ramasser les morceaux d’assiette cassée. Alors qu’elle allait se relever pour tout jeter à la poubelle, elle sent un coup sur sa tempe, qui l’étourdit et la fait tomber contre le frigo. Il l’a entendue, et n’est pas content. En jurant contre elle, il lui envoie une claque derrière la tête, et lui donne un coup de pied au visage. Sa tête se frappe une nouvelle fois contre le frigo. Elle a laissé retomber les morceaux d’assiette. Furieux, il s’empare du reste de nourriture, qu’il lance par terre. Elle n’a rien mangé de la journée, et a frotté si fort pour que le sol soit propre. Elle se met inévitablement à pleurer. En silence, bien sûr. Il sort de la pièce, et retourne au salon.
Elle se maudit d’avoir voulu faire vite. Elle se maudit d’avoir glissé. Elle se maudit d’avoir fait tomber l’assiette. Elle se maudit d’avoir fini si tard de frotter le plancher. Elle se maudit d’avoir épousé cet homme. Mais elle se maudit surtout de l’aimer. Elle doit se reprendre. Il lui reste toute la soirée pour se faire pardonner. Si elle fait bien les choses pour le reste de la soirée, il arrivera peut-être à effacer cette erreur de sa mémoire. Du moins jusqu’au lendemain. Elle s’essuie les yeux, renifle un bon coup, puis s’affaire à tout ramasser alors qu’elle entend la douche se mettre à couler. Elle s’ordonne à elle-même de rester forte. Un jour tout ira mieux.