D’aussi loin qu’il s’en souvienne, il avait toujours eu ces deux gros verres posés sur le nez. Malheur de la nature, Didier n’était pas vraiment ce qu’on attendait de lui. De sa famille, il était de loin le plus chétif. Cadet d’une fratrie de treize enfants, il ne dépassait en taille que deux de ses sœurs et pour cause, l’une était atteint de nanisme et la seconde fut amputée des jambes à la suite d’un accident de voiture. Triste destin que celui de Didier Desville qui n’eut que des rêves pour peu de réussite. Lui qui était placé sur la voie du succès par ses deux parents fiers de leur propre œuvre, il n’avait aucune raison d’échouer… Et pourtant.
En plein climat de guerre, ces deux parents se sont rencontrés au détour d’une balle perdue qui fut retrouvée dans la jambe du paternel, enrôlé pour affronter l’ennemi algérien. La mère était médecin, plus âgée que le père, leur rencontre fut forcée par le violent destin. La guerre avait sorti de son trou de campagne le père Desville qui ne faisait alors que de se battre et d’imposer son règne de caïd entre deux champs de la province française. Le coup de foudre fut immédiat, du moins, pour le père qui s’amouracha d’une femme qui n’avait pas encore d’yeux pour lui. Des suites d’une gangrène, le père Desville perdit sa jambe et fut avisé qu’il allait être renvoyé chez lui. Le temps le pressa, l’adrénaline l’anima et il avoua sa flamme à cette femme qu’il connaissait à peine. Elle le repoussa dans un premier temps puis envoutée par le charme de cet ancien voyou (charme dont Didier n’hérita, malheureusement, pas), une longue nuit berça les deux jeunes gens qui furent vite ramenés à la réalité par le départ forcé du père Desville.
Dans les larmes, la séparation se fit mais elle fut de courte durée. Quelques nuits suffirent à créer ce qui allait devenir l’aîné Desville. Boulet sur le champ de bataille, la future mère Desville fut renvoyé au bercail. Le choc fut grand mais pas autant que la joie qui emplit le cœur du père Desville qui allait bientôt trouver une descendance forte et vaillante comme il l’espérait. De ce premier enfant, en vint douze autres. Quatre filles, neuf garçons dont un plus petit que l’autre et bien plus laid : Didier. Si le père Desville avait la main lourde avec ses enfants, il était encore plus virulent quand il s’agissait de son « raté » comme il l’appelait quotidiennement. Après la guerre, le père Desville avait réussi dans le domaine agricole familial malgré son handicap. La mère, elle, devint un médecin renommé si bien qu’elle quittait souvent le cocon familial pour rendre des conférences un peu partout dans le monde, à la grande douleur de son cadet…